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Développement durable, Lettre d'Actualités Techniques

États financiers et rapport de durabilité : un alignement nécessaire

En 2025 ont été publiés les premiers rapports de durabilité en conformité avec les ESRS. À cette occasion, les associations ACTEO et IMA France1 ont réalisé une étude portant sur l’analyse de la connectivité entre ces rapports et les états financiers déjà publiés. Si cette notion apparait comme indispensable pour appréhender globalement la performance d’une entreprise, sa mise en œuvre est un exercice difficile. À partir de cette étude, nous proposons un état des lieux et exposons les réflexions de plusieurs acteurs issus de grands groupes.

La notion de connectivité : de quoi parle-t-on ?

En premier lieu, il convient de reprendre les principes qui sous-tendent l’établissement du rapport de durabilité, d’une part, et des états financiers d’autre part.  Si la notion de matérialité peut être appréhendée de façon similaire – information susceptible d’influencer les décisions des utilisateurs – on note cependant des différences d’approche au niveau de l’horizon de temps, de la prise en compte d’éléments prospectifs dans l’état du durabilité ainsi que des seuils d’évaluation. Il résulte de ce constat que des éléments figurant dans le rapport de durabilité n’ont pas vocation à figurer automatiquement dans les états financiers. Inversement, il en est de même pour ceux figurant dans les états financiers.

Pour autant, le principe de double matérialité qui régit la CSRD doit conduire les entreprises à diffuser des informations cohérentes et complémentaires entre les deux rapports, dans l’objectif de présenter une vision globale des enjeux de durabilité pour l’entreprise. Pour l’EFRAG, la connectivité correspond à « la capacité à intégrer et à articuler les informations issues des différentes sections du rapport annuel pour créer un ensemble d’informations cohérentes et complémentaires permettant une prise de décision éclairée par les utilisateurs des rapports ».

État des lieux

Les données récoltées lors de l’étude sont intéressantes car elles permettent de dégager les grandes tendances dans les pratiques de grands groupes.

En ce qui concerne le périmètre couvert par le rapport de durabilité, pour 68 % des sociétés du panel, celui-ci correspond au périmètre établi pour l’élaboration des comptes consolidés. Parmi les raisons principales invoquées pour les exclusions figurent le fait qu’il s’agit d’acquisitions récentes ou de filiales jugées non significatives.

Concernant l’information à fournir, notons que 92% des sociétés étudiées ont utilisé les dispositions transitoires permettant des exemptions de divulgation. Ces omissions portent essentiellement sur les effets financiers anticipés des risques physiques et de transition et des opportunités potentielles liées au climat (norme E1-9). On peut comprendre à ce stade qu’il soit difficile d’anticiper les risques financiers à moyen et long terme auxquels s’expose une société dans le cadre du changement climatique et de son plan de transition.

Pour l’exposé de l’analyse de la double matérialité, peu (23 %) présente une matrice et parmi celles qui le font, les enjeux matériels sont, dans une large majorité des cas, présentés de façon globale, sans distinguer le lien avec les IRO (Impacts/Risques et Opportunités).

Dans l’ensemble des documents étudiés, le climat ressort comme l’enjeu prioritaire et celui qui mobilise le plus de ressources financières de telle sorte qu’il existe bien un lien réel entre l’enjeu climatique et les ressources financières allouées. D’ailleurs, dans ces dernières recommandations pour l’arrêté des comptes 2025, l’AMF2 souligne, pour ce sujet, l’importance de s’assurer de la cohérence entre les informations figurant dans les états financiers et celles présentées dans d’autres documents (état de durabilité, rapport de gestion, analyse des risques, etc.) Cette transparence est essentielle pour limiter le risque de « greenwashing » et maintenir la confiance des utilisateurs dans les états financiers.

Plus précisément, sur l’aspect « climat », les enjeux d’atténuation constituent une forte matérialité d’impact et ceux liés à l’adaptation aux changements climatiques présentent la matérialité financière la plus forte, ce qui conduit à un léger décalage entre les deux.

On constate également que les enjeux « climat » sont ceux qui sont les plus matures, alors que d’autres thématiques sont laissées un peu de côté (par exemple, conduite des affaires, communautés affectées). Ainsi, outre les plans d’action mentionnés, on retrouve très souvent (74 % des entreprises du panel) des notes détaillées portant sur le climat dans les états financiers. Elles se focalisent essentiellement sur la valorisation des immobilisations et la prise en compte, dans les tests de dépréciation, des risques de transition, des risques physiques et des scénarios climatiques dans les hypothèses émises.

Enfin, comme indiqué précédemment, la difficulté de mesurer les effets financiers attendus fait que seulement 19 % des entreprises sondées communiquent sur ces derniers. Une seule d’entre elles fournit une indication chiffrée sur le revenu associé à des actifs à risque physique.

S’agissant d’un premier exercice, il reste donc encore du chemin à parcourir pour obtenir une meilleure corrélation entre rapport du durabilité et états financiers.

Les difficultés de mise en œuvre

Pour les grands groupes interrogés, et ce, malgré l’existence de processus bien établis, il existe toujours des difficultés pour assurer la connectivité entre rapport de durabilité et états financiers. A ce titre, les principaux obstacles sont les suivants.

  • La disponibilité des informations nécessaires à l’élaboration du rapport de durabilité constitue un frein majeur, notamment pour les groupes internationaux. L’appréhension de la chaine de valeur reste un sujet délicat.
  • La détermination du périmètre à prendre en compte dans le rapport de durabilité est aussi un gros défi ; il n’est pas forcément en adéquation avec le périmètre de consolidation.
  • Si, dans l’ensemble les IRO liés au changement climatique sont bien appréhendés, tant en termes de matérialité d’impact que financière, certaines thématiques, telles que la biodiversité, l’économie circulaire, sont peu développées de telle sorte qu’il est difficile de faire le lien entre les données du rapport de durabilité et celles figurant dans les états financiers. Certains déplorent un manque de guides méthodologiques et de méthodes de calcul pour cerner ces sujets avec pertinence.
  • Enfin, sur le plan de la gouvernance et de la stratégie de l’entreprise, il est relevé, dans certaines situations, un arbitrage à faire entre les engagements de durabilité et les engagements financiers, ce qui peut indéniablement nuire à la recherche de cette connectivité.

Pour conclure

Bien que la directive Omnibus qui vient d’être adoptée par le Parlement européen va rebattre les cartes, il n’en reste pas moins que le principe de connectivité entre état de durabilité et états financiers doit perdurer et rester en mémoire pour les préparateurs de ces états. Espérons également que l’expérience sur les sujets en cause feront évoluer et enrichir le cadre réglementaire afin qu’il permette d’appréhender la diversité des situations.


1 https://www.acteo.org ; https://ima-france.com. Étude portant sur 62 sociétés européennes ayant publié un rapport de durabilité conforme aux ESRS.

2 AMF, recommandations DOC-2025-08, octobre 2025.