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L’Intelligence Artificielle générative : révolution majeure, défi urgent ou simple effet de mode ?

Février 2025 : Paris s’apprête à accueillir le Sommet International pour l’action sur l’intelligence artificielle (IA), où chefs d’État, géants de la tech et chercheurs se réuniront pour explorer les enjeux de l’IA. Le gouvernement transforme cette occasion en une « semaine de l’IA » avec des journées scientifiques accueillant des lauréats Nobel et Turing, suivies d’un week-end culturel dédié à l’IA et à la création artistique. C’est l’occasion de vous proposer une immersion au cœur de l’IA générative avec une présentation de ses enjeux et ses cas d’usage.

L’essor de l’IA générative : révolution ou illusion ?

En octobre 2024, OpenAI, créateur du chatbot ChatGPT, a enregistré 3,7 milliards de visites, un chiffre qui témoigne de l’intérêt croissant pour l’IA générative. Cette technologie, capable de produire des contenus originaux – qu’il s’agisse de texte (ChatGPT, Gemini, Mistral…), d’images (Midjourney, DALL-E 3), de vidéos (Runway, Sora), de musique (AudioCraft, MusicLM), de code (GitHub Copilot), de voix (Elevenlabs) ou encore de mélanges multimédias –, répond à des demandes en langage naturel (« prompts » en anglais) et révolutionne notre manière de créer, d’innover et de concevoir.

Les technologies d’IA générative, telles que ChatGPT OpenAI o1-preview, Mistral Pixtral Large ou Llama 3.2, se distinguent par leurs applications généralistes, leurs créations originales et leurs interfaces intuitives. Adaptées à divers besoins, elles produisent des contenus comparables à ceux conçus par des humains, allant au-delà de la simple reformulation de données. Grâce à des interfaces accessibles via texte, image, audio ou vidéo, elles séduisent un public large et varié.

Comme l’explique Yann Le Cun, chercheur français connu pour ses travaux en intelligence artificielle, apprentissage automatique (machine learning) et en particulier sur les réseaux de neurones profonds (deep learning), l’IA se définit comme la capacité à « reconnaître une image, [à] transcrire une voix d’une langue à une autre, [à] traduire un texte, automatiser la conduite d’une voiture ou le pilotage d’un procédé industriel1. » Ces capacités, rendues possibles par l’apprentissage profond, marquent une étape importante dans l’évolution de l’IA.

Depuis sa naissance en 1956 à la conférence de Dartmouth, l’IA a alterné entre avancées spectaculaires et stagnation. L’explosion des données et la puissance de calcul exponentielle ont permis l’émergence de l’IA générative. L’IA semble désormais avoir franchi une étape qui redéfinit non seulement les modes de création, mais également les dynamiques industrielles et sociales. Les impacts de cette révolution technologique sont déjà visibles. Par exemple, les outils de recrutement alimentés par l’IA ont prouvé qu’ils pouvaient augmenter de 20% l’embauche de candidats issus de groupes sous-représentés2, illustrant ainsi leur potentiel à renforcer l’équité dans des processus de recrutement.

Un progrès sous haute vigilance

Face à l’essor de l’intelligence artificielle, les promesses de transformation s’accompagnent de défis considérables. Entre les risques liés à la désinformation, les menaces sur la cybersécurité, les mutations économiques et l’impact énergétique, l’IA impose une réflexion globale pour concilier innovation et responsabilité.

Risques importants dans nos écosystèmes numériques

Dans une interview du 16 mars 2023 sur ABCNews, Sam Altman, PDG d’OpenAI, exprimait déjà son inquiétude face à deux menaces majeures liées à l’IA : l’utilisation des programmes d’IA générative pour propager des fake news et l’accroissement des cyberattaques offensives.

Les deepfakes, capables d’imiter à la perfection voix et visage, constituent une menace en propageant de fausses informations crédibles. La fraude, quant à elle, exploite l’IA pour falsifier des documents ou des communications, permettant des virements illégitimes ou des manipulations commerciales. Enfin, l’usurpation d’identité, en imitant l’apparence ou les comportements numériques, vise à accéder à des comptes bancaires ou à voler des données sensibles, menaçant individus et entreprises.

Outre les menaces directes, les systèmes d’IA eux-mêmes sont vulnérables à des attaques ciblées, telles que la falsification des données d’entraînement, qui altèrent leurs prédictions et comportements, ou des manipulations d’IA en production comme la perturbation de modèle ou l’injection de prompt. Ces techniques soulignent la fragilité de ces systèmes face à des attaques sophistiquées.

Production humaine versus production générée par l’IA

Au-delà des risques liés à l’utilisation de l’IA, un enjeu subtil mais tout aussi crucial se profile : la distinction entre les productions humaines et celles des machines. Ce défi prend une importance particulière dans des domaines comme l’éducation, la recherche académique et les publications scientifiques, où la frontière entre écritures humaines et générées devient floue. À terme, cette problématique pourrait bouleverser non seulement la confiance dans ces productions, mais également la qualité même des modèles d’IA ; l’usage croissant des données synthétiques pouvant entraîner un appauvrissement de la richesse linguistique et par conséquent un amoindrissement de leurs performances.

Outre les enjeux déjà évoqués, l’essor de l’IA soulève des défis importants en matière de propriété intellectuelle. Les créations générées par l’IA, qu’il s’agisse de textes, d’images ou de vidéos, posent des questions complexes sur la titularité des droits d’auteur, particulièrement pour les industries créatives. L’absence de cadre universel clair accentue les zones grises et rend difficile l’équilibre entre protection des droits et innovation. Une étude récente met en lumière deux problématiques majeures : l’utilisation non autorisée des œuvres existantes par des modèles d’IA sans compensation, et la concurrence directe des contenus générés par ces technologies, qui pourrait fragiliser les revenus traditionnels des artistes3. Ces constats illustrent bien les tensions croissantes entre l’innovation technologique et la préservation des écosystèmes créatifs.

Modifications de l’emploi

Parallèlement à ces menaces, l’IA transforme en profondeur les dynamiques économiques et sociales, impactant les compétences, les métiers et les interactions humaines.

Pour garantir une bonne redéfinition des compétences et des professions, l’intégration massive de l’IA dans les entreprises devra s’accompagner de formations adaptées. Selon le rapport « IA : Notre ambition pour la France »4, cela nécessitera la généralisation du déploiement de l’IA dans toutes les formations d’enseignement supérieur et l’acculturation des élèves dans l’enseignement secondaire pour rendre accessibles et attractives les formations spécialisées ainsi que par l’investissement dans la formation professionnelle continue des travailleurs.

Pour de nombreux métiers, les compétences nécessaires évolueront de manière significative. Dans ce contexte, les travailleurs concernées devront s’adapter rapidement.

Impacts environnementaux

En parallèle de ces défis, une autre préoccupation majeure émerge : l’impact environnemental de l’IA. En effet, l’intensification de cette révolution technologique s’accompagne d’une empreinte écologique croissante.

Ainsi, selon Raphaël Balenieri, ChatGPT engendrerait chaque jour des dépenses informatiques et en puissance de calcul estimées à 700 000 dollars5. Une somme qui illustre la complexité et l’intensité énergétique des systèmes modernes d’IA.

Les centres de données, véritables piliers de l’IA et de l’informatique moderne, sont aussi énergivores. Ils consommaient 380 térawattheures (TWh) d’électricité à l’échelle mondiale en 2023, soit 1,4 % de la consommation électrique planétaire, d’après une analyse de Deloitte Global6. Cette demande énergétique pourrait presque tripler d’ici 2030, atteignant environ 1 000 TWh, soit 3 % de la consommation mondiale d’électricité.

Toutefois, l’IA offre également des solutions concrètes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, le service Google Maps, grâce à ses algorithmes d’optimisation des trajets, a permis de réduire de 2,9 millions de tonnes les émissions de CO₂ depuis 20217. Ces résultats démontrent que, bien employée, l’IA pourrait devenir aussi un allié puissant dans la lutte contre le changement climatique.

L’urgence d’adopter l’IA pour les entreprises françaises

Face aux opportunités et aux défis que l’IA soulève, un cadre réglementaire et stratégique pour encadrer son déploiement est apparu nécessaire aux yeux de la Commission européenne afin de circonscrire les potentielles dérives. Dans une économie mondialisée, l’Europe, et particulièrement la France, doivent intensifier leurs investissements en IA tout en accompagnant les acteurs économiques pour combler le retard face aux grandes puissances mondiales.

C’est dans ce contexte que l’AI Act8, la première tentative législative ambitieuse de l’Union européenne, marque une étape essentielle pour établir un cadre équilibré, visant à encourager l’innovation tout en protégeant les citoyens et les entreprises.

Ce cadre harmonisé, axé sur la gestion des risques, encadre l’IA pour garantir sécurité, transparence et respect des droits fondamentaux. Il interdit les usages inacceptables comme la notation sociale, l’identification biométrique à distance (hors exceptions de sécurité publique) et la manipulation des comportements. Les systèmes « à haut risque« , dans des secteurs critiques, doivent respecter des exigences strictes : contrôle humain, documentation et gestion des biais.

En parallèle, la législation encourage l’innovation en offrant des environnements contrôlés, appelés « bacs à sable réglementaires », pour tester et développer des systèmes d’IA dans des conditions réelles. Cette démarche vise à concilier régulation et promotion de la compétitivité technologique européenne.9 10

Si l’Europe a marqué une étape décisive avec l’adoption de l’AI Act, cette avancée réglementaire ne suffit pas à combler les lacunes en matière d’adoption et d’investissement dans l’intelligence artificielle. En effet, l’Europe reste confrontée à un défi majeur : l’intégration concrète des technologies de l’IA dans le tissu économique et industriel.

En France, Clara Chappaz, secrétaire d’État à l’Intelligence Artificielle et au Numérique, a récemment souligné cet enjeu, mettant en avant le faible nombre d’entreprises françaises ayant véritablement adopté l’IA. À travers des initiatives comme le « café de l’IA », elle entend stimuler la sensibilisation et recenser les cas d’usage pour faciliter cette transition. En effet, un retard notable est constaté dans les investissements sur l’IA, notamment par rapport à des puissances comme les États-Unis et la Chine.

Ce paradoxe est d’autant plus frappant que, selon une récente étude, près de la moitié des dirigeants d’entreprises identifient comme leur première préoccupation la nécessité de « gagner la course sur le terrain de l’IA11 ».

De l’usage de l’IA générative en entreprise

L’IA générative révolutionne de nombreux secteurs en introduisant de nouveaux cas d’usage adaptés à leurs besoins spécifiques. Ainsi, l’IA s’est particulièrement développée dans le secteur des assurances et de la finance.

Dans le secteur de l’assurance, connu pour son adoption précoce de l’IA dans la lutte contre la fraude, l’IA générative est désormais exploitée pour améliorer l’accompagnement client, automatiser les tâches administratives et analyser les contrats. AG2R12 a investi dans le développement d’un outil d’IA générative sécurisé. D’autres acteurs majeurs comme AXACOVEA (MAAF, MMA, GMF) ou encore MACIF utilisent également des solutions d’IA pour optimiser la prise de décision et renforcer leurs opérations.

Dans sa branche Finance and LegalL’Oréal a développé un ChatBot conçu pour répondre aux questions sur les normes de gestion et les normes IFRS. Cet outil illustre la manière dont l’IA générative peut être intégrée pour soutenir des fonctions complexes et améliorer l’efficacité organisationnelle13.

L’IA générative optimise les processus de back-office, simplifiant le rapprochement comptable, l’analyse des performances et la catégorisation des dépenses et flux financiers. Elle améliore également la productivité des équipes techniques en aidant à créer des algorithmes financiers avec des outils comme GitHub Copilot.

Dans le secteur de l’audit, de l’expertise comptable et du conseil, certains cabinets intègrent l’IA dans leurs pratiques. Par exemple, des collaborateurs utilisent des outils comme Microsoft Copilot 365 pour les accompagner dans leurs tâches quotidiennes. D’autres développent des solutions d’IA générative destinées à analyser des documents réglementaires ou volumineux dans le cadre des missions d’audit, et à produire automatiquement des synthèses commentées pour les activités de conseil.

L’IA générative transforme également le secteur bancaire, offrant des gains significatifs en productivité et en efficacité. BBVA, première banque européenne à avoir noué un partenariat avec OpenAI, en est un exemple phare. L’institution a développé 2 900 modèles GPT personnalisés pour répondre rapidement et avec précision aux questions des clients, réduisant ainsi les délais de traitement. De son côté, JP Morgan a mis en place une solution interne, « LLM Suite », un assistant IA mis à disposition des salariés permettant d’automatiser des tâches administratives complexes telles que la rédaction de rapports et de courriels14.

Enfin, chez Morgan Stanley, l’assistant IA baptisé « Debrief » illustre un autre cas d’usage : la création automatisée de synthèses des réunions clients qui ferait gagner jusqu’à 15 heures par semaine par employé.

Pour conclure

L’intégration de l’IA dans les entreprises françaises reste un défi majeur.  C’est pourquoi nous vous proposons de nous retrouver dans un prochain article15 qui abordera les difficultés de sa mise en œuvre et les méthodologies d’entreprises ayant surmonté les obstacles, en identifiant les pratiques clés pour une intégration réussie.

1 Yann Le Cun, Quand la machine apprend : la révolution des neurones artificiels et de l’apprentissage profond, Odile Jacob, 2023, Partie « Introduction. »

2 https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-rh-comment-lia-favorise-linclusion-et-la-diversite-2131464, Novembre 2024.

3 https://www.cisac.org/fr/etude-ia-de-la-cisacpmp-strategy.

4 Rapport « IA : Notre ambition pour la France », Commission de l’Intelligence Artificielle, 13 mars 2024.

5 Le match du siècle, Talent Editions, Raphaël Balenieri, 18 septembre 2024.

6 A study of AI’s environmental footprint – today and tomorrow, Powering artificial intelligence, Deloitte, November 2024.

7 https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/08/04/climat-les-promesses-de-l-ia-grevees-par-un-lourd-bilan-carbone_6266586_3244.html

8 Règlement UE 2024/1689 du 13-6-2024, JOUE du 12-7.

9 https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2024/05/21/artificial-intelligence-ai-act-council-gives-final-green-light-to-the-first-worldwide-rules-on-ai/

10 https://en.wikipedia.org/wiki/Artificial_Intelligence_Act

11 Des CEO déterminés à gagner la bataille de l’IA, Les Echos, Etude CEO Outlook 2024, KPMG.

12 https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/assurance-ag2r-la-mondiale-se-lance-a-son-tour-dans-lintelligence-artificielle-2129895

13 https://www.lesechos.fr/partenaires/ibm-consulting-defis/anticiper-en-temps-reel-dans-des-environnements-complexes-2129509

14 https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/jp-morgan-prend-encore-de-lavance-dans-la-course-a-lintelligence-artificielle-2113799

15 À paraître dans la prochaine lettre d’actualités techniques n° 63.