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Audit légal et contractuel, Lettre d'Actualités Techniques

Analyse des risques de BC-FT : savoir identifier les principales menaces

Pour les organismes financiers soumis à la supervision de l’AMF, avec un cadre réglementaire contraignant en ce qui concerne la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (BC-FT), il est important de bien connaître les menaces pesant sur leur secteur. Dans le prolongement de l’analyse nationale des risques (ANR) réalisée en 2023 par le COLB1, l’AMF a récemment présenté son analyse pour le secteur financier2. Voici les points saillants, tels qu’ils ressortent de cette étude.

Rappel du cadre réglementaire pour le secteur des services financiers

Les entités soumises au contrôle de l’AMF et de l’ACPR

En matière de lutte BC-FT, sont concernées les entités sous contrôle de l’AMF suivantes :

  • les organismes de placement collectif (OPC) ;
  • les sociétés de gestion de portefeuille (SGP) ;
  • les conseillers en investissement financier (CIF) ;
  • le dépositaire central Euroclear France ;
  • un prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) ayant un agrément optionnel ;
  • les émetteurs de jetons numériques dont l’offre a reçu le visa de l’AMF.

Quant aux PSAN enregistrés auprès de l’AMF, ces derniers sont soumis au contrôle de l’ACPR au titre de leurs obligations relatives à la lutte BC-FT.

Les principales obligations pour ces entités

Afin de prévenir les risques de BC-FT, tout un arsenal d’obligations s’impose aux entreprises concernées, dont :

  • la mise en place d’une organisation et de procédures de contrôle interne robustes capables d’évaluer les risques et de lutter contre le BC-FT ;
  • la vigilance à l’égard de la clientèle et des bénéficiaires effectifs, avec vérification de leur identité ;
  • en présence de facteurs accrus de risques (opération réalisée dans un pays à risque tel qu’identifié par le GAFI ou la Commission européenne, personnes politiquement exposées (PPE), etc.) l’application de mesures de vigilance renforcées et complémentaires sur le client et le bénéficiaire effectif ;
  • l’obligation de transmission de déclarations de soupçons (DS) auprès de Tracfin ;
  • l’obligation de mettre en œuvre et respecter les gels d’avoirs onusiens, européens et nationaux, tels que ceux pris vis-à-vis de la Russie.

Des risques mesurés pour certains secteurs d’activité

À partir de données quantitatives et qualitatives disponibles, l’AMF a pu déterminer l’exposition d’un produit ou d’un secteur à la menace de BC-FT. De même, les vulnérabilités correspondant à l’existence de facteurs favorisant les opérations de BC-FT ont été analysées.

La gestion d’actifs (SGP)

Ce secteur représentait un encours important, d’environ 4 570 Md€, en 2022. Près d’un tiers des SGP sont des filiales de groupes bancaires, ces dernières gèrent près de 90 % du total d’encours sous gestion. Il s’agit d’un secteur très régulé, avec des partenaires eux-mêmes assujettis à la lutte BC-FT (dépositaire, teneur de registre et de comptes-conservateurs).

En ce qui concerne les menaces de BC-FT, l’AMF considère qu’elles sont faibles pour les instruments financiers traditionnels tels que les actions cotées, les obligations listées et les autres instruments du marché monétaire. En raison d’une forte intermédiation des opérations par des entreprises assujetties à la lutte BC-FT, le risque global demeure faible.

Pour le capital-investissement, notamment les fonds d’investissement alternatifs, les fonds français sont principalement issus d’investisseurs institutionnels (compagnies d’assurance, mutuelles, caisses de retraite…) et les investissements se portent essentiellement sur des sociétés françaises ou de l’Union européenne. Toutefois, dans la mesure où ce secteur attire de plus en plus de capitaux étrangers (avec une plus grande difficulté à identifier le client et l’origine des fonds), l’AMF affecte un niveau de menace de BC-FT modéré à ce secteur.  En revanche, leur vulnérabilité face au BC-FT est élevé, notamment du fait que les opérations se font en direct avec les fonds d’investissement. Toutefois, en raison de la règlementation qui leur est applicable – dispositif de lutte contre le BC-FT, notamment – l’AMF estime que le risque global est modéré.

En ce qui concerne les fonds immobiliers (SCPI, OPCI), à la différence du secteur de l’immobilier en général, l’exposition à la menace de BC est moindre, et d’un niveau modéré.

Au niveau de la vulnérabilité intrinsèque du secteur, il convient de souligner qu’elle est surtout liée aux montages, aux structures de détention des actifs immobiliers ainsi qu’au profil des investisseurs. L’AMF en conclut que cette vulnérabilité est potentiellement élevée. Mais comme les SGP spécialisées dans le secteur immobilier sont très encadrées, aussi bien par l’AMF que par la DGCCRF en leur qualité de professionnels de l’immobilier, le risque en la matière est atténué de telle sorte que l’AMF estime que le risque global est modéré.

Enfin, pour les SGP qui opèrent pour le compte de tiers sous mandat, essentiellement pour le compte d’institutionnels ou de personnes privées (de type Family Office), l’AMF affecte un niveau de risque global de BC-FT modéré.

Les conseillers en investissement financier (CIF)

Ce secteur, très concentré, se partage entre 2 grandes familles de métiers :

  • le conseil en gestion de patrimoine, comportant très fréquemment une optique d’optimisation fiscale. Cette activité représente 95 % du total des CIF ;
  • le conseil aux institutionnels, SGP et autres intermédiaires financiers.

Notons que les CIF doivent adhérer à une association professionnelle agréée par l’AMF qui les contrôle au moins une fois tous les 5 ans. Ils sont également soumis au dispositif de lutte contre le BC-FT. L’AMF estime que le niveau de menace auquel les CIF s’exposent est susceptible de fortes variations selon la nature des produits et la qualité de leurs partenaires. Il est modéré en matière de BC et faible en matière de FT. De même, en ce qui concerne les vulnérabilités, disparates selon les produits proposés (régulés ou non), l’AMF considère que le niveau est élevé en matière de BC et faible en matière de FT.

Soumis au dispositif de lutte contre le BC-FT et à la directive MIF 2 sur la connaissance de la clientèle, les CIF devraient, par leurs procédures, atténuer les vulnérabilités intrinsèques. Toutefois, les contrôles menés par les associations professionnelles font état de manquements significatifs de telle sorte que l’AMF conclut à un risque de vulnérabilité résiduelle élevé pour le BC. Au niveau du risque global, le risque portant sur le BC est, selon l’AMF, modéré, et faible pour le FT.

Des niveaux de risques globaux résiduels encore élevés pour deux secteurs

En croisant les menaces et la vulnérabilité résiduelle et en tenant compte des mesures d’atténuation, l’AMF détermine un niveau de risque global de BC-FT. À ce titre, elle estime que pour les PSAN agréés et les émetteurs de jetons numériques ayant obtenu le visa de l’AMF le risque de BC-FT reste élevé.

Risques liés aux PSAN agréés par l’AMF

Ces PSAN peuvent offrir les services suivants :

  • la conservation d’actifs numériques pour le compte de tiers ;
  • L’achat-vente d’actifs numériques contre une monnaie avec cours légal (par ex. contre euro) ;
  • l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques ;
  • d’autres services sur actifs numériques tels que la réception et la transmission d’ordres, la gestion de portefeuille, pour le compte de tiers.

Au regard du volume des opérations d’échange entre actifs numériques (représentant un volume de l’ordre de 41 Md€), l’exposition au risque de BC-FT est importante. Par ailleurs, leurs caractéristiques offrent des conditions favorables : anonymat, caractère transnational et quasi immédiat des transactions, opacité des canaux d’échanges, volume de valeurs transférable. C’est pourquoi, Tracfin estime que les crypto-actifs sont de plus en plus utilisés pour le blanchiment de fonds issus d’activités criminelles et/ou pour le financement du terrorisme, ainsi que dans les circuits de fraude fiscale.

À noter

Les PSAN seulement enregistrés auprès de l’AMF, présentent, eux, un risque très élevé de BC-FT selon l’analyse sectorielle de l’ACPR3.

Risques liés aux émissions de jetons numériques

Dans ce cadre, par le biais d’une blockchain, une levée de fonds est proposée grâce à une offre au public de jetons pouvant être utilisés par la suite pour obtenir des produits ou services. Si l’AMF estime la menace de BC-FT faible dans cette activité, la vulnérabilité intrinsèque est très élevée du fait des caractéristiques de l’opération (anonymat, relation à distance et transfrontalière), malgré le fait que les émetteurs ayant obtenu le visa de l’AMF sont soumis au dispositif de lutte BC-FT. Comme généralement, les émetteurs sont de jeunes sociétés n’ayant pas forcément les moyens de mettre pleinement en place des procédures efficaces de lutte contre le BC-FT, l’AMF considère que le risque global reste élevé.

Synthèse des risques globaux

Source AMF

Pour conclure

Si ce document constitue des lignes directrices pour mieux appréhender les risques liés au BC-FT, il n’a pas de valeur réglementaire.  En effet, en fonction des caractéristiques des produits financiers offerts et de la granularité de l’analyse faite en interne, les entités concernées par le dispositif de lutte contre le BC-FT peuvent considérer leur niveau de risques plus ou moins élevé par rapport à celui identifié dans les conclusions émises par l’AMF, sous réserve bien sûr de justifier leur position !

1 Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

2 AMF, « Analyse sectorielle des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme », juin 2024. Le secteur du financement participatif ne fait pas l’objet d’une analyse dans le cadre de cette étude.

3 ACPR, « « Analyse sectorielle des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en France », mise à jour du 29 juin 2023.