De nouvelles contraintes pour les agences de notation
Les agences de notation jouent indéniablement un rôle dans les décisions d’investissement. Dans un contexte où la prise en compte par les investisseurs des critères ESG est de plus en plus prégnante, la Commission européenne a estimé nécessaire d’instaurer un cadre réglementaire plus contraignant : tel est l’objet du règlement UE publié récemment1 et entré en vigueur au 1er janvier 2025.
Objectif général
Le règlement vise à renforcer la fiabilité et la comparabilité des notations ESG sur le profil de durabilité des émetteurs et des instruments financiers et ainsi minimiser le risque d’écoblanchiment.
Champ d’application
Le règlement s’applique aux fournisseurs de notations ESG exerçant leur activité dans l’Union européenne. Les agences de notation hors UE peuvent aussi être concernées lorsqu’elles distribuent (par exemple sur forme d’abonnement) leurs notations à des institutions financières européennes. Dans ce cadre, des définitions s’imposent.
Notation ESG : avis, score, ou une combinaison des deux, fondé à la fois sur une méthode bien établie et sur un système de classement défini de catégories de notation et concernant le profil ou les caractéristiques d’un élément noté au regard des droits environnementaux et sociaux, des droits de l’homme, des facteurs de gouvernance ou de l’exposition d’un élément noté à des risques, ou à l’impact sur les droits environnementaux et sociaux et les droits de l’homme ou sur les facteurs de gouvernance, que cette notation ESG soit qualifiée de « notation ESG », d’« avis ESG » ou de « score ESG ».
Fournisseur de notation ESG : personne morale dont les activités incluent l’émission et la publication ou la distribution de notations ESG à titre professionnel. A contrario, ne relèvent pas du champ d’application du règlement, les entités qui offrent des notations ESG privées qui ne sont pas destinées à être publiées ou distribuées.
Principales mesures de régulation
Une activité régulée
Pour pouvoir exercer cette activité au sein de l’UE, il faudra disposer d’un agrément délivré par l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Toutefois, les petits fournisseurs de notations ESG, qui devront être malgré tout enregistrés auprès de l’AEMF, bénéficient d’allègements temporaires. Les fournisseurs hors UE peuvent aussi bénéficier d’un système d’équivalence, sous conditions.
Pour connaitre la qualité d’un fournisseur de notations ESG, les personnes qui sollicitent ses services pourront vérifier s’il est inscrit sur le registre tenu par l’AEMF.
Pour les besoins de surveillance de cette activité, l’AEMF a désormais un pouvoir d’enquête et d’inspection sur place sur les fournisseurs de notations ESG. Elle peut aussi infliger une astreinte équivalente à 3% du chiffre d’affaires journalier moyen afin de mettre fin à l’infraction commise. Le pouvoir de sanction pécuniaire lui est aussi conféré par le biais une amende pouvant atteindre 10 % du chiffre d’affaires annuel du fournisseur.
Exigences d’intégrité et de fiabilité des processus de notation
Dans le cadre de l’obtention de l’agrément, une analyse poussée des processus mis en place par l’entité sera effectuée. Notamment, les fournisseurs doivent mettre en place des politiques et procédures garantissant que leurs notations reposent sur une analyse approfondie de l’ensemble des informations pertinentes pour leur analyse, conformément à leurs méthodes de notation. En outre, au moins une fois par an, ils évaluent l’adéquation et l’efficacité de leurs systèmes, ressources et procédures mis en œuvre pour la fourniture de notations ESG.
Existence de garde-fous pour éviter les conflits d’intérêts
Il est prévu une séparation stricte des activités de telle sorte qu’un fournisseur de notations ESG ne peut se livrer à une activité de conseil auprès d’investisseurs ou d’entreprises. Par principe, il ne peut proposer ni des services d’investissement, ni exercer une activité d’établissement de crédit, sauf s’il existe des mesures de sauvegarde garantissant que chaque activité est exercée de manière autonome et que les membres de son personnel participant directement au processus d’évaluation d’un élément noté n’effectuent aucune activité précitée. D’une manière générale, il veille à ce que la fourniture d’autres services ne crée aucun risque de conflits d’intérêts dans le cadre de son activité de notation ESG.
Du point de vue déontologique, on retrouve des exigences prévues pour des professions réglementées (notamment commissaire aux comptes). Ainsi, pour garantir l’indépendance des évaluateurs ESG, sont instaurées des restrictions relatives aux liens personnels, financiers et professionnels (art. 26) pouvant exister entre eux et l’élément noté ou un instrument financier émis ou garanti par l’entité notée.
Exemple
À l’exception des participations dans des OPC diversifiés ou dans le cadre d’une gestion discrétionnaire de portefeuille, il est interdit aux analystes ESG de réaliser des transactions sur des instruments financiers émis par l’entité notée. Cette interdiction s’applique aussi aux personnes occupant des postes d’encadrement supérieur au sein du fournisseur de notations ESG.
De plus, il est instauré un délai de viduité d’une année avant qu’un analyste puisse intervenir dans une notation ESG lorsque celui-ci a été liée à l’entité notée par un contrat de travail, une relation professionnelle ou tout type de relation qui pourrait causer ou pourrait être perçue comme conduisant à un conflit d’intérêts. De même, il n’est pas possible pour un analyste ou un cadre supérieur du fournisseur de notations ESG d’accepter un poste d’encadrement au sein de l’entité notée pour laquelle il a participé à la détermination d’une notation dans les neuf mois suivant la date de cette notation.
Enfin, il est institué, une procédure interne de signalement pour les éventuelles irrégularités commises. Il est également instauré un mécanisme de recueil des plaintes provenant des utilisateurs de notations ESG qui doit figurer sur le site Internet du fournisseur.
À noter : le fait d’externaliser des fonctions en lien avec la fourniture d’une notation ESG ne peut en aucun cas exonérer la responsabilité du fournisseur de notations ESG au regard du respect des obligations découlant de ce règlement.
Exigences de transparence des activités de notation ESG
Sur ce point, il s’agit d’une avancée importante pour la connaissance des méthodes et sources utilisées par le fournisseur. Ainsi, sur leur site Internet, dans une section distincte, doivent figurer les informations mentionnées à l’annexe III du règlement, telles que celles sur l’objectif de la notation (évaluation des risques, incidences, prise en compte de la double matérialité), sur le champ d’application, notamment s’il s’agit d’une notation agrégée ESG, la pondération entre les trois facteurs E, S et G. Devront aussi figurer les sources de données utilisées (tel le rapport de durabilité) et l’indication de l’IA si elle est employée dans la collecte des données. À ce titre, signalons que l’AEMF est chargée d’élaborer des normes techniques en vue de l’information à publier qu’elle présentera au plus tard le 2 octobre 2025.
Pour conclure
Ce règlement s’inscrit dans une lame de fond en faveur du développement durable. Il demande particulièrement des efforts de transparence aux agences de notation européennes. Il devrait permettre une meilleure comparaison des performances des entreprises en matière de durabilité. Toutefois, dans un marché où prédominent les grandes agences américaines, il est légitime de s’interroger sur ses impacts en termes de développement des entreprises de ce secteur.
1 Règlement (UE) 2024/3005 du 27 novembre 2024 portant sur la transparence et l’intégrité des activités de notation environnementale, sociale et de gouvernance (ESG).