Provision pour égalisation et provision pour résilience
Le 5 avril 2024 l’ANC a rendu l’avis n° 2024-01 portant sur un projet de décret1 relatif aux règles de comptabilisation de la provision pour égalisation. Si du point de vue comptable, il n’y a pas de modification à proprement parler, le champ de la provision pour égalisation est étendu à un nouveau type de risque, sans modifier les règles de comptabilisation précédemment applicables. La création de cette provision est à mettre en regard de la création de la provision pour résilience.
Rappel de la définition de la provision pour égalisation
Les entreprises d’assurance et de réassurance peuvent constituer en franchise d’impôt des provisions destinées à faire face aux charges exceptionnelles afférentes aux opérations qui garantissent certains risques. Elles sont prévues à l’article 39 quinquies G I du CGI, qui définit les règles de déduction du résultat imposable, ainsi que par le code des assurances où la provision d’égalisation figure parmi les provisions techniques concernant les opérations d’assurance (au a du 6° de l’article R 343-7) et de réassurance (au a du 12° l’article R 343-8).
Aux risques précédemment couverts, l’article 4 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 a ajouté une provision pour égalisation concernant les risques dus aux atteintes aux systèmes d’information et de communication, également déductible du résultat imposable.
Pour ce faire, le décret :
- définit les règles de détermination de la provision pour égalisation afférente aux risques dus aux atteintes aux systèmes d’information et de communication. Il fixe les paramètres de calcul du plafond de déduction du bénéfice imposable de la dotation annuelle de cette provision et du plafond de sa dotation globale (art. 16A, Annexe II du CGI). Par ailleurs, cette provision est intégrée dans le code des assurances parmi les provisions techniques d’assurance à l’instar des autres provisions pour égalisation ;
- relève les plafonds de déduction du bénéfice imposable des provisions pour égalisation existantes qui sont afférentes à l’assurance grêle, au risque atomique, aux risques dus à la garantie légale des catastrophes naturelles et aux autres risques dus à des éléments naturels.
Limites de la provision pour égalisation
La provision pour égalisation cherche à « compenser les fluctuations considérables des résultats techniques de certaines branches », mais :
- la liste des risques concernés est limitée, avec notamment : les risques dus à des éléments naturels, le risque atomique, les risques de responsabilité civile dus à la pollution, les risques spatiaux, les risques liés au transport aérien, les risques liés aux attentats et au terrorisme et, désormais, les risques dus aux atteintes aux systèmes d’information et de communication ;
- la dotation annuelle est limitée à 75 % du bénéfice technique pour les risques spatiaux, les risques liés au transport aérien, le risque atomique, les risques liés aux attentats ou au terrorisme et les risques de responsabilité civile dus à la pollution. Cette limite est portée à 90 % du bénéfice technique pour les risques dus à la grêle, les risques dus à la garantie légale des catastrophes naturelles, les autres risques dus à des éléments naturels, ainsi que les risques dus aux atteintes aux systèmes d’information et de communication. Ces limitations, qui restent les plus contraignantes parmi les dispositifs de provisionnement existant au niveau européen, limite l’efficacité du dispositif. En effet, elles ne permettent pas de constituer rapidement des montants de provisions suffisant en cas d’augmentation rapide de la sinistralité sur les risques exceptionnels. Alors que les réassureurs sont confrontés depuis plusieurs années à une augmentation des risques exceptionnels, ce plafond peut conduire à un montant global de provision pour égalisation par catégorie de risque trop faible par rapport aux expositions pour les catastrophes naturelles et autres éléments naturels ;
- la durée d’utilisation des dotations est limitée à 10 ans avant reprise (respectivement 12 ans pour les risques attentats et terrorisme et 15 ans pour les risques transport aérien).
Ainsi, la création de la provision pour résilience, avec des règles globalement plus favorables, vise à compléter le dispositif des provisions pour égalisation.
Création de la provision pour résilience
Le dispositif législatif a été prévu en priorité pour favoriser les créations de captives d’une entreprise ou d’un groupe n’opérant pas dans le secteur de l’assurance, et aussi de futurs rapatriements de captives existantes. La loi de finances pour 2023 et son décret d’application 2023-449 du 7 juin 2023 ont introduit le cadre fiscal et réglementaire de cette provision, dite de résilience.
Il s’agit d’une provision spécifique, fiscalement déductible, dont les caractéristiques sont les suivantes :
- la provision pour résilience2 permet de constituer une réserve à long terme incluant un différé fiscal destiné à compenser un éventuel déficit futur du résultat technique pour les risques concernés ;
- cette provision s’adresse uniquement aux entreprises captives de réassurance, c’est-à-dire détenues par une entreprise autre qu’une entreprise financière, et dont l’objet porte exclusivement sur la couverture de risques d’entreprises autres que financières.
La loi de finances pour 2023 a prévu une présentation par le Gouvernement au Parlement, au plus tard le 30 septembre 2025, d’une évaluation des principales caractéristiques des bénéficiaires du dispositif de franchise d’impôt ainsi que de son efficacité et de son coût.
Cette provision a pour périmètre les catégories d’opérations énumérées à l’article 39 quinquies G II du CGI, en référence à la classification de l’article A.344-2 du code des assurances, c’est-à-dire :
- dommages aux biens professionnels et agricoles,
- catastrophes naturelles,
- pertes pécuniaires,
- dommages et pertes pécuniaires consécutifs aux atteintes aux systèmes d’information et de communication,
- transports,
- et la responsabilité civile générale.
Il est précisé3 que « cette provision est affectée, dans l’ordre d’ancienneté des dotations annuelles, à la compensation globale du solde négatif du compte de résultat technique de l’exercice pour l’ensemble des risques correspondants ». La provision permet donc d’opérer, au niveau d’une entreprise ou d’un groupe, une compensation globale pour l’ensemble des risques concernés, sans segmentation par catégorie de risques. Elle ne peut être utilisée qu’en cas de solde négatif global du compte de résultat technique de l’exercice pour l’ensemble de ces risques.
Enfin, les dotations annuelles qui, dans un délai de quinze ans, n’ont pu être utilisées conformément à cet objet sont rapportées au bénéfice imposable de la seizième année suivant celle de leur comptabilisation.
Le décret d’application précise que :
- la dotation annuelle de la provision est limitée à 90 % du montant du bénéfice résultant de la somme des bénéfices techniques associés à chaque catégorie de risques concernée (cette règle semble permettre de ne pas tenir compte des pertes techniques éventuelles de certaines catégories, et donc de doter davantage que si la provision correspondait à une fraction du bénéfice technique de l’ensemble des catégories de risques concernés) ;
- le montant global de la provision ne peut excéder 10 fois le montant moyen, sur les trois dernières années, du minimum de capital requis (MCR) prévu par l’article L. 352-5 du code des assurances.
Pour conclure
L’adaptation du traitement fiscal des captives de réassurance en France est une avancée importante, pour encourager l’implantation de nouvelles captives en France car les nouvelles règles donnent aux entreprises industrielles les moyens de gérer plus efficacement leurs risques propres dans l’espace et dans le temps. Ainsi, si elle est utilisée à bon escient, la nouvelle provision devrait permette une meilleure maîtrise des risques et une gestion optimisée des expositions émergentes ou devenues plus complexes à couvrir pour les entreprises.
Dans la continuité de ces évolutions, une réflexion entre assureurs, réassureurs et pouvoirs publics pourrait être menées afin que les règles, qui régissent actuellement les provisions pour égalisation des entreprises financières, puissent être également revues et adaptées aux nouveaux défis, notamment émergents et climatiques, auxquelles ces dernières doivent faire face.
1 Depuis lors paru : décret n° 2024-523 du 7 juin 2024 relatif aux règles de comptabilisation de la provision pour égalisation et au régime financier du Fonds de garantie des assurances de dommages obligatoires.
2 Article R. 343-8, 12 bis du code des assurances.
3 Article 39 quinquies G II du CGI précité.