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Conseil et supports opérationnels, Lettre d'Actualités Techniques

Mise en œuvre des IFRS : extrait de décisions de la base de l’ESMA

En juin dernier, l’ESMA a publié son dernier extrait1 de la base de données EECS, contenant des décisions des régulateurs nationaux portant sur les modalités de présentation des états financiers en IFRS. Voici une sélection des thématiques traitées et les positions prises par les régulateurs, garants de la conformité d’une interprétation uniforme des normes IFRS au sein de l’UE.

IAS 36 – Période de prévision dans le test de dépréciation du goodwill (Décision ref. EECS/0126-01)

Le cas – Une entreprise qui développe et commercialise des composants de matériels informatiques présentait à son bilan des actifs incorporels tels que des brevets technologiques, des relations clients, des frais de développement activés ainsi qu’un goodwill.

Lors de la réalisation du test de dépréciation du goodwill, l’entreprise utilisait, à partir de 2018, une période de prévision de neuf ans pour déterminer la valeur d’utilité. Les flux de trésorerie attendus provenant de la vente des nouveaux produits technologiques devaient principalement être générés vers la fin de la période de prévision. Au fil des années suivantes, la période de prévision était systématiquement prolongée d’un an, repoussant ainsi les flux de trésorerie attendus d’une année supplémentaire à chaque fois. En 2020, une partie du goodwill a été dépréciée, notamment en raison des effets de la pandémie. Fin 2022, une nouvelle dépréciation est intervenue, selon l’entreprise, à la suite d’une augmentation du taux d’actualisation et d’un nouveau report des flux de trésorerie prévus.

L’entreprise justifiait la durée relativement longue de la période de prévision par des spécificités sectorielles telles que les longs cycles de développement dans l’industrie automobile, les évolutions réglementaires (à partir de 2026, les systèmes utilisant ses produits seront obligatoires dans l’UE), ainsi que des retours d’expérience sur des développements antérieurs (par exemple, un composant de téléphonie mobile qui n’a généré des revenus qu’après plus de dix ans).

Position du régulateur – Le régulateur a conclu que l’entreprise n’était pas en mesure d’établir des prévisions fiables de flux de trésorerie sur une période de neuf ans. En effet, les flux de trésorerie initialement attendus ne se sont pas matérialisés et ont constamment été reportés dans le futur. Cette opinion a été renforcée par le fait qu’une adaptation des flux de trésorerie prévisionnels avait entraîné une dépréciation significative en 2020.

Ainsi, la démarche de l’entreprise allait à l’encontre des exigences des articles IAS 36.33(b) et IAS 36.35, qui n’autorisent des périodes de prévision supérieures à cinq ans que si l’entreprise est en mesure, sur la base de son expérience passée, de démontrer qu’elle peut estimer de manière suffisamment précise les flux de trésorerie futurs sur une telle durée. Aussi, la période de prévision a dû être réduite à cinq ans, ce qui a conduit à une dépréciation du goodwill.

IAS 12 – Comptabilisation des actifs d’impôt différé en présence d’un historique de pertes (Décision ref. EECS/0126-03)

Le cas – Cette décision concerne la comptabilisation des actifs d’impôt différé (IDA) sur des reports de pertes fiscales. Elle met en avant les exigences de fiabilité concernant les projections et l’évaluation de l’existence future de bénéfices imposables suffisants.

Une entreprise biotechnologique, active à l’international, a comptabilisé au 31 décembre 2022 d’importants IDA malgré des pertes continues depuis sa création en 2013 et des risques de continuité d’exploitation. Cette comptabilisation reposait sur un plan budgétaire décennal (2020–2030), approuvé en janvier 2021 et non actualisé depuis. La majorité des revenus prévisionnels de ce plan provenait de la vente d’un produit non encore approuvé sur le marché concerné à la date de clôture 2022, bien que ce marché soit considéré comme la principale source de bénéfices futurs. Seuls les revenus de ce produit ont été pris en compte pour l’évaluation des IDA.

Position du régulateur – Le régulateur a estimé que la comptabilisation des IDA ne respectait pas les exigences d’IAS 12. Faute de différences temporaires imposables suffisantes, il manquait notamment des preuves convaincantes qu’un bénéfice imposable suffisant serait disponible comme l’exige IAS 12.35 en cas d’historique de pertes. Les hypothèses sous-jacentes étaient obsolètes, la période de prévision de huit ans trop longue, et de nombreux indicateurs négatifs étaient présents : historique de pertes significatives, forte dépendance au financement externe, incertitudes importantes sur la continuité d’exploitation et durée limitée des reports de pertes fiscales.

IAS 24 – Informations annexes sur la société mère (Décision ref. EECS/0126-04)

Le cas – Cette décision concerne un émetteur industriel dont la structure actionnariale est largement dispersée. Les sociétés B et C détiennent respectivement environ 35 % et 25 % du capital social de l’émetteur. À la suite d’un accord conclu entre B et C, la société B était reconnue comme étant la société mère ultime de l’émetteur. Celui-ci a présenté la société B, dans ses états financiers 2022, comme sa société mère ultime conformément à IAS 1.138 (d) et IAS 24.13.

En juin 2023, la structure de gouvernance de l’émetteur a évolué, limitant la capacité de B à exercer un contrôle sur l’émetteur. Dans les états financiers 2023, l’émetteur a indiqué, sur la base des informations fournies par B, que cette dernière restait considérée comme la société mère ultime, tout en précisant que cette appréciation reposait sur les données de B et que sa propre évaluation n’était pas encore achevée. Il a également été mentionné que les transactions entre l’émetteur et B étaient jugées non significatives sur le plan quantitatif.

Position du régulateur – Sur la base des normes IAS 1.138 et IAS 24.13, le régulateur a contesté les informations présentées en annexe. Il a considéré que l’émetteur aurait dû, en tenant compte des éléments transmis par B, procéder à sa propre analyse pour déterminer quelle entité devait être reconnue comme société mère.

Le régulateur a conclu en notant que le concept de contrôle au sens de IAS 24.9 renvoie à la définition donnée dans IFRS 10. Au vu de la complexité d’analyse du contrôle effectif, l’émetteur, conformément à IAS 1.31, aurait dû fournir des informations supplémentaires sur les incertitudes liées à l’appréciation du contrôle.

IFRS 3 – Évaluation pour déterminer si une opération constitue une prise de contrôle (Décision réf. EECS/0126-05)

Le cas – L’émetteur, une société d’investissement immobilier spécialisée dans la logistique, a acquis une autre société immobilière cotée en bourse. L’émetteur a considéré que la société acquise était une entité ad hoc (special purpose vehicle, SPV) dépourvue de processus propres significatifs (processus externalisés), et a donc comptabilisé l’acquisition comme un achat d’actifs conformément à IFRS 3.2(b) (achat des actifs immobiliers détenus par l’entité).

Cette comptabilisation s’appuyait sur le fait qu’aucun processus essentiel n’était transmis, même si des éléments d’actif et des revenus étaient acquis.

Position du régulateur – Le régulateur a toutefois conclu que l’opération devait être traitée comme une prise de contrôle d’entreprise, puisque l’émetteur avait, au moment de l’acquisition, accès à une organisation fonctionnelle grâce à des contrats d’externalisation couvrant la gestion immobilière et la gestion des baux locatifs, lesquels assuraient la réalisation de processus essentiels.

Il a par ailleurs été rappelé que l’évaluation du caractère essentiel des processus doit se faire à la date d’acquisition. Au cas d’espèce, bien que la gestion stratégique ait été modifiée lors de la prise de contrôle, les deux autres processus étaient présents et opérationnels à la date d’acquisition.

Pour apprécier le caractère essentiel d’un processus, il convient, lors de l’application d’IFRS 3.B12C(a), de se référer également aux lignes directrices d’IFRS 3.B12D. Les contrats d’externalisation étaient conclus pour une durée de deux ans et ne pouvaient être résiliés unilatéralement ou sans coûts importants : cela démontrait, selon le régulateur, que l’émetteur exerçait un contrôle sur la main d’œuvre organisée via ces contrats.

IFRS 13 – Contrats d’achat d’électricité et catégorisation des paramètres d’entrée pour l’évaluation à la juste valeur (Décision ref. EECS/0126-06)

Le cas – Un émetteur exploite des installations éoliennes et photovoltaïques, et se protège contre la volatilité des prix de l’électricité en concluant des contrats d’achat physique ou virtuel d’électricité (Power Purchase Agreements physiques et virtuels, PPAs et VPPAs). En raison d’un accord contractuel prévoyant une compensation nette obligatoire, l’émetteur a traité les VPPAs comme des instruments financiers dérivés, dont la juste valeur est déterminée par la méthode des flux de trésorerie actualisés, basée sur une courbe forward à trois niveaux. Pour les trois premières années, les prix non ajustés observés sur le marché sont utilisés ; pour les années quatre à huit, une combinaison de prix extrapolés et d’études de marché ajustées à l’inflation provenant de trois fournisseurs de référence est retenue ; à partir de la neuvième année, seuls les prix issus de ces études, ajustés de l’inflation, sont pris en compte. D’après l’émetteur, tous les paramètres d’entrée significatifs sont observables, directement ou indirectement, ce qui justifie, selon elle, une classification en niveau 2 de la hiérarchie de la juste valeur. Les études de marché utilisées pour établir la courbe des prix forwards seraient également, d’après l’entité, accessibles à d’autres intervenants du marché.

Position du régulateur – Le régulateur n’a pas partagé cet avis, estimant que les prix forwards utilisés ne sont observables que sur une courte partie de la durée des VPPAs, ce qui ne permet pas de les considérer comme des paramètres de niveau 2 au sens d’IFRS 13. Les prix extrapolés (sauf si l’extrapolation est non significative) et les études de fournisseurs de marché sont considérés comme des paramètres non observables, ce qui implique une classification de la juste valeur en niveau 3. Une telle classification aurait entraîné, entre autres, la nécessité de fournir en annexe les informations exigées par IFRS 13.91(b) et IFRS 13.93(d)-(h), soit des précisions sur les paramètres d’entrée non observables significatifs et des analyses de sensibilité.

IFRS 15 – Principal ou Agent (Décision ref. EECS/0126-07)

Le cas – L’émetteur achète des produits pour des clients finaux : le client final passe commande auprès de l’émetteur, qui acquiert alors les produits en son nom auprès de divers fournisseurs. La livraison est effectuée soit directement du fournisseur au client final, soit le client passe commande directement auprès du fournisseur (tout en bénéficiant des conditions négociées par l’émetteur). Dans le premier cas, la propriété des produits sert de garantie pour les créances envers les clients finaux (réserve de propriété). Pour ce service, l’émetteur reçoit une commission inférieure à 1 % du prix d’achat convenu – cette commission étant contractuellement attribuée pour la sélection du fournisseur et la négociation du prix.L’émetteur a conclu qu’il agissait en tant que principal et a donc présenté le chiffre d’affaires et les charges en brut, estimant qu’il contrôlait le processus de commande, assumait le risque d’inventaire (notamment du fait de la réserve de propriété) et détenait la compétence de fixation des prix.

Position du régulateur – Le régulateur a toutefois considéré que l’émetteur agissait uniquement en tant qu’agent, car il n’avait à aucun moment le contrôle des produits au sens d’IFRS 15.33. Avant la commande et la livraison au client, l’émetteur ne pouvait ni déterminer l’usage des produits, ni en tirer des avantages, ni empêcher des tiers d’en faire usage.

Les indicateurs d’IFRS 15.B37 confortent l’avis du régulateur : la responsabilité de la conformité des biens ou services aux exigences (de qualité) du client final incombait au fournisseur ; l’émetteur ne supportait pas de risque d’inventaire réel (la réserve de propriété est sans incidence sur ce point selon le régulateur) et sa marge de manœuvre sur la fixation des prix se limitait pratiquement à la faible commission de service.

IFRS 3 et IFRS 10 – Contrôle à la lumière des droits substantiels (Décision ref. EECS/0126-08)

Le cas – L’émetteur, une entreprise de commerce de détail, a acquis en 2021 44 % des parts d’une société, suivi de l’acquisition des 56 % restants de cette même société en 2022. L’acquisition des parts restantes a été comptabilisée par l’émetteur comme un regroupement d’entreprises échelonné conformément aux dispositions d’IFRS 3.41 et suivants. Outre l’émetteur, seuls les deux fondateurs étaient actionnaires de la société. L’émetteur était également l’unique client ainsi que le créancier principal de la société détenue.

Lors de la première acquisition en 2021, une option de vente (put option) sur les 56 % restants a été accordée aux deux cédants, qui pouvait être exercée dans certaines circonstances, tandis que l’émetteur obtenait une option d’achat (call option), lui donnant le droit d’acquérir à tout moment les parts restantes de 56 %. Les termes des options d’achat et de vente n’étaient pas parfaitement symétriques.

Position du régulateur – Le régulateur a contesté la comptabilisation de l’émetteur en tant que regroupement d’entreprises échelonné : l’émetteur exerçait déjà le contrôle sur la société selon IFRS 10 dès l’acquisition initiale de 44 % en 2021. La transaction aurait donc dû être considérée comme un regroupement d’entreprises selon IFRS 3 dès 2021, et l’acquisition ultérieure des parts restantes en 2022 comme une transaction entre actionnaires majoritaires et minoritaires. Pour justifier sa position, le régulateur a précisé que, grâce à l’obtention de l’option d’achat en 2021, l’émetteur avait acquis le pouvoir de contrôle au sens d’IFRS 10.10 sur la société concernée. En effet, l’option d’achat conférait à l’émetteur un droit substantiel au sens d’IFRS10.B22 et suivants.

Pour conclure

À l’instar des années précédentes, nous retrouvons des décisions ayant trait aux dépréciations d’actifs, mais de nouvelles thématiques apparaissent, telles que celles relatives aux PPAs et VPPAs qui devraient dans un avenir proche être de plus en plus fréquentes.

1 ESMA, 30th Extract from the FRWG (EECS)’s Database of Enforcement, juin 2025