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Audit légal et contractuel, Lettre d'Actualités Techniques

La mission d’assurance du futur rapport de durabilité

Alors que le premier lot des normes ESRS a été publié cet été, les modalités de vérification du rapport de durabilité que devront émettre de nombreuses entreprises, conformément aux dispositions de la CSRD, n’ont pas encore été fixées1. Aussi, le H3C a jugé utile de proposer des lignes directives2 pour réaliser au mieux cette nouvelle mission pour les premiers rapports de durabilité émis au titre de l’exercice 2024. D’ailleurs, ces dernières serviront de base à l’élaboration d’une norme d’exercice professionnel ad hoc.

Objectif général de la mission

Les travaux d’assurance limitée qu’effectue le vérificateur doivent lui permettre de se prononcer sur le fait qu’il n’a pas identifié d’inexactitudes (erreurs, omissions ou incohérences), dans les informations en matière de durabilité fournies par l’entreprise, d’une importance telle que leur conformité avec la directive CSRD pourrait être remise en cause (ce qui inclut la conformité avec les normes ESRS et celle du processus mis en œuvre par l’entreprise pour la publication de ces informations, en conformité avec ces normes).

Le champ de la mission d’assurance limitée

Cette mission, que peut réaliser le commissaire aux comptes de l’entité concernée par cette obligation, s’articule autour de trois axes :

  • émettre un avis sur la conformité de l’information, le cas échéant consolidée, en matière de durabilité avec les exigences de la directive comptable unique 2013/34/UE modifiée, y compris avec les normes ESRS et le processus mis en œuvre par l’entreprise pour déterminer les informations à publier, selon ces normes ;
  • émettre un avis sur la conformité au regard de l’exigence de balisage de l’information sous le format ESEF, le cas échéant consolidée, en matière de durabilité (non abordé dans le document du H3C) ;
  • émettre un avis sur le respect des exigences de publication des informations prévues à l’article 8 du règlement UE 2020/85214, dit règlement Taxonomie (quotes-parts du CA, des CAPEX et des OPEX affectées à des activités économiques dites durables).

Prise de connaissance de l’entreprise et de son environnement et planification des travaux

Cette phase essentielle doit permettre au vérificateur de collecter les éléments lui permettant de définir, sur la base d’une analyse des risques, la nature, le calendrier et les vérifications à effectuer pour émettre son avis.

Cette phase doit ensuite lui permettre de planifier ces travaux sur la base :

  • d’une analyse des risques de non-conformité des informations publiées entrant dans le champ de la mission du vérificateur (voir ci-avant) ;
  • de marges d’erreur acceptables pour déterminer le montant des inexactitudes (erreurs, omissions ou incohérences) dans les informations quantitatives au-delà duquel le jugement ou les décisions des utilisateurs des informations en matière de durabilité sont susceptibles d’être influencés.

Remarque :

Les informations en matière de durabilité étant de nature différente et du fait que leur importance relative diffère selon les utilisateurs des rapports de durabilité, le vérificateur définit autant de marges d’erreur acceptables que nécessaire.

 

Signalons que le vérificateur peut décider de centrer ces travaux sur des informations présentant un risque important de non-conformité aux dispositions de la CSRD et/ou pour lesquelles il existe des attentes fortes de tout ou partie des utilisateurs du rapport de durabilité. Pour ce faire, il prend en compte la probabilité et l’ampleur de la survenance d’inexactitudes, d’insuffisances ou d’omissions au regard des caractéristiques de l’entreprise, telles que le nombre d’entités comprises dans le périmètre du rapport de durabilité, le nombre de parties prenantes et leurs attentes, les faiblesses du contrôle interne, la difficulté pour certains sujets d’établir des prévisions, l’existence de financement avec des ratios tenant compte de critères ESG ou encore de l’indexation de la rémunération variable de dirigeants sur des critères ESG, etc.

Les déclinaisons du contrôle de conformité

Respect du cadre général de l’information à fournir

En préambule, au même titre que l’information financière, rappelons que l’information délivrée doit respecter les critères de pertinence, de représentation (image) fidèle, de comparabilité, de vérifiabilité et de compréhensibilité. C’est dans le cadre de ces exigences que le vérificateur doit se prononcer.

Définition des principes qui sous-tendent l’élaboration de l’information du rapport de durabilité (ESRS1, annexe B) :

  • Pertinence : l’information fournie doit permettre à ses utilisateurs de prendre leurs décisions selon l’approche de double matérialité (matérialité d’impact et matérialité financière).
  • Représentation fidèle : l’information doit être complète, neutre et exempte d’erreur.
  • Comparabilité : les informations fournies par l’entreprise au titre de l’exercice peuvent être comparées à celles fournies au titre des exercices précédents ainsi qu’à celles fournies par d’autres entreprises, en particulier celles ayant des activités similaires ou opérant dans le même secteur.
  • Vérifiabilité : implique la possibilité de corroborer soit ces informations elles-mêmes, soit les données utilisées pour les obtenir.
  • Compréhensibilité : les informations sont claires, concises et cohérentes de telle sorte que tout utilisateur raisonnablement averti puisse comprendre facilement l’information fournie.

Ces principes étant rappelés, il convient de souligner que certaines informations ne sont à publier que lorsqu’elles sont matérielles pour l’entreprise (matérialité d’impact et financière), alors que d’autres sont obligatoires quelle que soit leur importance relative (cf. articles 19 bis et 29 bis de la directive 2013/34/UE modifiée et normes ESRS), sans oublier celles que l’entreprise voudrait publier volontairement. Par conséquent, le commissaire aux comptes, en tant que vérificateur, s’attachera à vérifier l’exhaustivité des informations fournies.

Autre vérification à ne pas négliger : la présence de l’information (à publier obligatoirement et/ou selon sa double matérialité) sur la démarche générale de préparation de ce rapport, permettant de comprendre les modalités de sa préparation (base de préparation), y compris le périmètre de consolidation, les informations sur la chaîne de valeur et les exemptions de divulgation retenues.

Conformité du processus d’identification et de collecte des informations publiées

La mise en œuvre par l’entreprise d’un processus de collecte et d’identification dans une perspective de « double matérialité » doit lui permettre d’identifier :

  • d’une part, ses impacts, risques et opportunités liés aux questions de durabilité y compris ceux des entités comprises dans le périmètre de l’information consolidée, le cas échéant, et ceux provenant de sa chaîne de valeur ;
  • et d’autre part, ceux dont, après analyse des faits et circonstances, la matérialité est telle que les informations sont à publier.
  • L’identification des parties prenantes

La démarche du vérificateur consiste à évaluer le processus de l’entité pour identifier ses parties prenantes comprenant :

  • d’une part, les individus ou les groupes dont les intérêts sont affectés ou pourraient être affectés, positivement ou négativement, par les activités de l’entreprise et ses relations commerciales directes et indirectes tout au long de sa chaîne de valeur ;
  • d’autre part, les utilisateurs des informations en matière de durabilité (investisseurs, partenaires commerciaux, bailleurs de fonds, partenaires sociaux, etc.).

Par ailleurs, il s’enquiert de savoir si l’entreprise s’appuie ou non sur des pratiques de place ou des méthodologies reconnues.

  • L’approche de la double matérialité

Pour rappel, la matérialité s’appréhende en fonction de deux critères normés : une matérialité d’impact et une matérialité financière.

Notion de matérialité d’impact : elle correspond aux incidences matérielles, réelles ou potentielles, positives ou négatives de l’activité de l’entreprise sur les personnes ou l’environnement à court, moyen et long terme. Les impacts comprennent ceux qui sont liés aux opérations et à la chaîne de valeur de l’entreprise, y compris par le biais de ses produits et services, ainsi que par le biais de ses relations d’affaires qui ne se limitent pas aux relations contractuelles directes (prise en compte de l’ensemble de sa chaîne de valeur).

La démarche de détermination de la matérialité d’impact étant définie dans la norme ESRS1, § AR9, le vérificateur apprécie si l’entreprise a observé les différentes étapes requises, lui permettant de définir des seuils pour déterminer les impacts qui seront couverts par son rapport de durabilité.

Notion de matérialité financière : un sujet de durabilité est considéré important d’un point de vue financier s’il déclenche ou si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il déclenche des effets financiers importants sur l’entreprise.

Une information est considérée comme importante pour les principaux utilisateurs de l’information financière à usage général si l’omission, l’inexactitude ou l’occultation de cette information est raisonnablement susceptible d’influencer les décisions qu’ils prennent sur la base du rapport de durabilité de l’entreprise (ESRS 1, 48).

Pour apprécier cette matérialité financière, il convient de dépasser les risques et opportunités actuels pour considérer aussi les risques et opportunités qui pourraient survenir, en tenant compte notamment de dépendances à l’égard des ressources naturelles et sociales en tant que sources d’effets financiers et de leur classification comme sources de risques et d’opportunités.

Le vérificateur apprécie la démarche retenue par l’entreprise pour déterminer la matérialité financière en fonction des critères exposés ci-avant.

Conformité aux exigences de présentation des informations

Dans un souci de lisibilité et de comparabilité des informations, leur présentation est normée par les textes (ESRS 1). Aussi, le vérificateur s’assure que les prescriptions sont bien respectées, notamment sur le fait que les informations figurent dans une section spécifique du rapport de gestion, qu’elles sont structurées en 4 parties (informations générales, environnementales, sociales et de gouvernance). En outre, lorsque les informations sont connectées avec des éléments financiers, il vérifie que les informations peuvent être reliées entre elles.

Conformité aux exigences de l’article 8 du règlement « Taxonomie »

Pour rappel, le respect des exigences de l’article 8 du règlement Taxonomie implique la détermination par l’entreprise de ses activités éligibles et celles alignées3, la présentation des indicateurs requis et des informations qui les accompagnent.

Sur la base de sa connaissance du référentiel « Taxonomie » et des éléments collectés lors de la prise de connaissance de l’entreprise, en particulier de ses procédures mises en place, le vérificateur doit s’assurer que :

  • ces procédures couvrent l’ensemble des activités économiques de l’entreprise, y compris celles des entités incluses dans le périmètre de consolidation ;
  • ces procédures sont établies de façon à respecter les exigences du référentiel « Taxonomie » en ce qui concerne l’établissement et la présentation formelle des informations qualitatives (nature des activités éligibles et alignées, manière dont l’entreprise a évalué la satisfaction des critères techniques d’alignement, description de la composition des indicateurs clés de performance, méthodologies d’allocation de ces indicateurs aux différentes activités), ainsi que des informations quantitatives (indicateurs clés de performance) ;
  • ces procédures garantissent que les informations chiffrées utilisées pour l’établissement des indicateurs clés de performance concordent avec les données de la comptabilité.

Pour conclure

Le commissaire aux comptes qui souhaiterait réaliser cette mission de vérification doit prendre conscience de l’ampleur des informations et de leurs granularités requises par la CRSD et les normes ESRS, mais pas seulement. En effet, comme le sujet est complexe et plus large que celui de la donnée comptable, il doit avoir le recul nécessaire pour appréhender tout l’enjeu du rapport de durabilité, dans le contexte des évolutions sociétales, technologiques et scientifiques.

1 Les normes européennes pour la mission d’assurance limitée portant sur le rapport de durabilité doivent être adoptées par actes délégués au plus tard le 1er octobre 2026.

2 H3C, avis technique « Mission d’assurance limitée sur l’information en matière de durabilité », juin 2023.

3 Sur ces notions, voir l’article « Taxonomie verte : diligences du commissaire aux comptes sur la DPEF » paru dans la lettre d’actualités techniques n° 51, février 2023.