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Audit légal et contractuel, Développement durable, Lettre d'Actualités Techniques

Taxonomie environnementale : les diligences du commissaire aux comptes pour les DPEF

En attendant l’application de la nouvelle directive CSRD relative au rapport de durabilité, les entreprises non financières soumises à la déclaration de performance extra-financière (DPEF) doivent d’ores et déjà respecter les règlements « Taxonomie » 1. Pour les commissaires aux comptes de telles entités, il est important de bien cerner le champ de la vérification de ces informations : dans un récent avis, la CNCC donne une lecture de cette réglementation 2.

Rappel des obligations des entreprises non financières soumises à la DPEF

Au titre des DPEF publiées depuis le 1er janvier 2022, ces entreprises devaient déjà fournir les indicateurs suivants provenant d’activités économiques considérées comme éligibles : part de leur chiffre d’affaires, part de leurs dépenses d’investissement (Capex), part de leurs dépenses d’exploitation (Opex).

Pour les DPEF publiées à compter du 1er janvier 2023, ces entreprises sont tenues de présenter, en plus de l’éligibilité de leurs activités conformément à la taxonomie, l’alignement avec celle-ci de leurs activités au regard des objectifs d’atténuation du changement climatique et d’adaptation au changement climatique.

Qu’est-ce qu’une activité « alignée » ?

Une activité « éligible » devient « alignée » lorsqu’elle remplit cumulativement les trois critères suivants :

1) L’activité contribue substantiellement à un ou plusieurs des objectifs environnementaux concernant l’atténuation du changement climatique, l’adaptation au changement climatique, l’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines, la transition vers une économie circulaire, la prévention et la réduction de la pollution, la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.       

2) L’activité ne cause de préjudice important à aucun des objectifs environnementaux cités ci-dessus.

3) L’activité est exercée dans le respect des principes directeurs de l’OCDE et des Nations Unies relatifs aux entreprises, en particulier pour ce qui concerne les droits fondamentaux au travail et aux droits de l’homme (respect des « Garanties Minimales »).

Quid de la réglementation française relative à la DPEF ?

En France, les conditions et les modalités d’établissement de la DPEF sont fixées par les articles L. 225-102-1 et R. 225-105 du Code commerce. Signalons en particulier que cette déclaration fait l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant (OTI) qui peut être le commissaire aux comptes de l’entité soumise à cette obligation.

Par ailleurs, comme précisé dans l’article 8 du règlement 2020/852 « Taxonomie », les informations relatives au chiffre d’affaires, aux dépenses d’investissement et aux dépenses d’exploitation des activités durables, ainsi que les notes narratives qui les accompagnent, sont en pratique à publier dans la DPEF.

Selon la CNCC, les informations relatives à la taxonomie n’étant pas visées par les dispositions de l’article R. 225-105 précité, elles n’entrent pas dans le champ de la vérification de l’OTI en l’état actuel de la réglementation en vigueur en France. En revanche, elles entrent dans le champ des vérifications spécifiques du commissaire aux comptes au titre de ses travaux sur le rapport de gestion (la DPEF étant incluse dans le rapport de gestion ou dans le rapport de gestion du groupe).

Les diligences du CAC dans le cadre d’une mission de certification des comptes

Travaux sur le rapport de gestion

Conformément à l’article L. 823-10 du Code de commerce et à la NEP 9510 3, le commissaire aux comptes vérifie en premier lieu la présence de la DPEF dans le rapport de gestion.

Pour la CNCC, les informations requises par le règlement « Taxonomie » figurant in fine dans le rapport de gestion relèvent de la catégorie des « autres informations », aussi le commissaire aux comptes n’a pas à en vérifier la sincérité et la concordance avec les comptes annuels. En effet, la CNCC estime que les conditions d’élaboration de ces informations « résultent d’un processus distinct du processus comptable : les données de base sont majoritairement issues de systèmes d’information opérationnels et sont soumises à des ajustements/retraitements afin de les affecter aux seules activités qualifiées d’éligibles et de durables. Les qualifications d’activité éligible et d’activité durable reposent par ailleurs sur des jugements importants de la direction. Il en résulte que ces informations ne peuvent pas être considérées comme des informations directement extraites des comptes annuels ou consolidés et ne peuvent pas être directement rapprochées des données ayant servi à l’établissement des comptes quand bien même certains de leurs composants pourraient l’être ».

Détecter les incohérences par la lecture d’ensemble de la DPEF

Néanmoins, le commissaire aux comptes procède à la lecture, qualifiée de « lecture d’ensemble » de la DPEF afin de relever, le cas échéant, les informations qui lui apparaîtraient manifestement incohérentes.

S’agissant des trois critères pour l’alignement d’une activité (voir supra), le commissaire aux comptes prendra en considération les informations contradictoires dont il pourrait avoir connaissance (par exemple à travers les médias …). Il fera également le lien avec les litiges en cours, les provisions comptabilisées, les passifs éventuels non comptabilisés, ainsi qu’avec l’information communiquée dans le document d’enregistrement universel (en particulier dans la section « facteurs de risque »).

En ce qui concerne plus spécifiquement le troisième critère relatif au respect des principes directeurs de l’OCDE et des Nations Unies relatifs aux entreprises, la plateforme pour la finance durable de la Commission européenne considère que le respect des garanties minimales doit couvrir les quatre domaines suivants : les droits humains, la lutte contre la corruption, la fiscalité et l’éthique des affaires. Aussi, le commissaire aux comptes en tiendra compte pour son appréciation de la cohérence des informations fournies avec les éléments qu’il a pu collecter dans le cadre de son audit des comptes.

Signaler les irrégularités

Compte tenu de l’importance des informations requises par le règlement UE précité pour les investisseurs et les parties prenantes, la CNCC estime que l’absence d’une de ces informations est susceptible d’influencer le jugement des utilisateurs des comptes sur l’entité ou leur prise de décision. Par conséquent, le commissaire aux comptes signalera une irrégularité dans son rapport (dans la partie « Vérifications spécifiques ») selon la formule suivante : « En application de la loi, nous vous signalons que la déclaration de performance extra-financière ne comprend pas (citation des informations manquantes), information(s) requise(s) par le 2 de l’article 8 du règlement (UE) 2020/852 ».

Exemples d’irrégularités

  • Absence de publication d’un des indicateurs clés de performance qui ne bénéficient pas de la clause d’exemption de publication pour cause de non-matérialité.
  • Absence de publication des informations narratives devant accompagner les tableaux incluant les indicateurs clés de performance.

Emettre des observations dans le rapport de certification des comptes

Lorsque le commissaire aux comptes relève des inexactitudes significatives susceptibles d’influencer les lecteurs des informations relatives au règlement « Taxonomie » et que la direction ne procède pas aux modifications demandées, la mention suivante peut être utilisée (au niveau de la rubrique « Vérifications spécifiques ») : « Les informations prévues par l’article 8 du règlement (UE) 2020/852 incluses dans la déclaration de performance extra-financière appellent de notre part l’observation suivante : (description) ».

Exemples d’observations

  • Incohérence manifeste entre la présentation de certaines activités qui ont été considérées comme alignées ou durables et les constats issus des travaux mis en œuvre dans le cadre de l’audit des comptes.
  • Double-comptage d’une activité.

 

Pour conclure

Pour le commissaire aux comptes, l’examen de la DPEF constitue une première étape, une sorte de « galop d’essai », compte tenu des enjeux du futur rapport de durabilité qui figurera aussi dans le rapport de gestion. Eu égard à la quantité d’information à fournir et à l’analyse de matérialité nécessaire pour établir ce document, les auditeurs n’ont pas d’autres choix que de se former à cette nouvelle réglementation.

1 Ensemble de règlements fixant la classification des activités durables : règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020 ; règlement délégué (UE) 2021/2139 du 4 juin 2021 ; règlement (UE) 2021/2178 du 6 juillet 2021 ; règlement délégué (UE) 2022/1214 du 9 mars 2022.

2 CNCC, diligences du commissaire aux comptes relatives aux nouvelles informations en matière de taxonomie « verte » devant être incluses dans les DPEF publiées à compter du 1er janvier 2023 en application du règlement (UE) 2020/852 – Décembre 2022.

3 Norme d’exercice professionnel 9510 « Diligences du commissaire aux comptes relatives au rapport de gestion, aux autres documents sur la situation financière et les comptes et aux informations relevant du rapport sur le gouvernement d’entreprise adressés aux membres de l’organe appelé à statuer sur les comptes ».