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Banque/ Assurance, Lettre d'Actualités Techniques

Assurance et climat : les propositions du rapport Langreney

Le mardi 2 avril 2024, le rapport Langreney1 sur l’assurabilité des risques climatiques en France a été remis officiellement à ses commanditaires Bruno Le Maire et Christophe Béchu, les ministres de l’Economie et de la Transition écologique. Deux problématiques sont à l’origine de ce rapport :

  • la vitalité de certains territoires est menacée : les résidents de certaines régions du monde, surexposées à des catastrophes climatiques sont confrontés à un retrait des assureurs ou à des primes très élevées, ce qui les poussent à envisager un déménagement ou de faire l’impasse sur l’assurance ;
  • l’urgence de décarboner l’activité humaine : les assureurs disposent de leviers pour influencer directement les émissions de gaz à effet de serre de leurs clients.

Ce document, fruit de 61 auditions de plus de 150 personnes, acteurs du monde de l’assurance (compagnies, réassureurs, experts, agents généraux, courtiers) et leurs fédérations, des syndicats agricoles, des ONG, des représentants de l’Etat et des institutions publiques (Haut Conseil pour le climat, CESE…), est construit autour de quatre grandes thématiques : les effets du changement climatique sur les périls assurés en France, l’adaptation du système assurantiel face aux risques physiques liés à ce changement climatique, le renforcement du rôle du système assurantiel dans la prévention et l’adaptation aux risques climatiques et la contribution du système assurantiel au financement de l’atténuation des effets du changement climatique.

Un enjeu important

Eu égard aux données existantes – 24 milliards d’euros de primes annuelles d’assurances dommages aux biens sécurisent environ 24.000 milliards de patrimoine des particuliers, agricoles, professionnels et des entreprises, ainsi qu’une large partie de notre PIB de 2 600 milliards – le désengagement d’assureurs dans les zones très exposées aux risques climatiques constitue un risque stratégique majeur, tant pour les assurés et l’économie de ces territoires que pour l’équilibre du système assurantiel français, qui, rappelons-le, repose sur le principe d’une mutualisation des risques assurés. Aussi, évincer 10% du territoire ou du PIB de ce filet de cette sécurité assurantielle serait loin d’être anodin.

Constats et conséquences du changement climat

Le climat a évolué au cours des deux dernières décennies engendrant une dérive importante de la sinistralité. En France, les coûts d’indemnisation de dommages liés à des aléas climatiques s’élevaient à 10,6 milliards d’euros en 2022, soit 0,4 % du PIB (France Assureurs), sous l‘effet conjugué de phénomènes intenses de grêle et d’une sécheresse d’ampleur inédite depuis 40 ans. En moyenne, la charge de sinistres du marché français a triplé depuis la fin des années 1980.

D’ici à 2050, le changement climatique aggravera les aléas climatiques, et aura une incidence notable notamment sur les sécheresses (retrait-gonflement des argiles), les inondations (par ruissellement, par débordement ou par remontée de nappe), les submersions marines au cours des tempêtes et les cyclones via des précipitations plus intenses, l’élévation du niveau de la mer et la force des vents. Cette augmentation de la sinistralité sera d’autant plus importante que le niveau de réchauffement sera élevé. Les travaux de projection climatiques et hydro-climatiques à l’horizon 2050 réalisés par le groupe mutualiste Covéa sur quatre aléas (tempêtes, grêle, inondation et sécheresse) en retenant le scénario d’émissions de gaz à effet de serre RCP8.5 indiquent qu’au global, le changement climatique devrait contribuer à une augmentation de la sinistralité de +60 % dans les années à venir, en lien avec une hausse de la fréquence et de la sévérité des événements en inondation, sécheresse et grêle.

Tous les territoires ne sont pas exposés de manière homogène aux aléas naturels, et tous les aléas ne connaîtront pas une évolution comparable en termes de fréquence, d’intensité et de cinétique. Les risques naturels dépendent non seulement du climat et de son évolution, mais aussi de l’exposition et de la vulnérabilité des populations, des biens, des activités et des écosystèmes aux catastrophes naturelles, de la capacité à prévenir et à protéger de ces catastrophes, et des moyens déployés pour la prévention et l’adaptation.

Les recommandations du rapport Langreney

Les recommandations visent 11 objectifs majeurs autour des politiques assurantielles de souscription, d’adaptation et de prévention, et en faveur de l’atténuation. Parmi les recommandations, nous avons relevé les mesures suivantes.

Augmentation du taux de la surprime « Cat Nat »

Dans ce contexte de changement climatique, le rapport préconise d’assurer le redressement du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles à court terme et sa pérennité à moyen et long termes, en rehaussant les taux de la surprime « Catastrophes naturelles (Cat Nat) » afin de renforcer les ressources financières du régime à hauteur de 1.300 M€ par an. Le gouvernement a déjà anticipé cette recommandation du rapport : un arrêté de décembre dernier a augmenté la part des primes d’assurance dommages des particuliers et des entreprises pour le financement du régime « Cat Nat », pour dégager 1,2 Mds€ de ressources supplémentaires par an. En assurance habitation, l’augmentation de la surprime de 12% à 20% en 2025 engendrera un surcoût annuel moyen de 16 euros par foyer.

Au-delà du relèvement du taux, le rapport recommande d’instaurer un mécanisme d’indexation automatique du taux de surprime « Cat Nat » afin de prendre en compte les effets du changement climatique, en fixant la réévaluation annuelle initiale à 1% des taux de surprime (soit 0,2 point de %) par an à compter de 2023.

Identifier les zones les plus risquées pour mieux prévenir

Les auteurs proposent de consolider les zones d’exposition majeure aux principaux risques climatiques pour renforcer la responsabilisation, en cartographiant des zones d’exposition élevée aux principaux aléas naturels majeurs, de manière partagée entre l’État, la CCR et les acteurs assurantiels. Pour éviter les dommages à répétition, et in fine le retrait des assureurs, il est préconisé de renforcer le financement de la prévention des risques naturels majeurs et d’anticiper le financement de l’adaptation côtière, en créant un nouveau fonds dédié au financement des mesures de prévention individuelle et de le doter par le prélèvement de 12% sur la hausse des cotisations additionnelles relatives à la garantie catastrophes naturelles ou encore d’investir pour développer la connaissance des risques et les mesures de prévention appropriées, en renforçant les parcours de formation à la prévention des risques naturels et de catastrophe pour l’ensemble des élus locaux, des professionnels et des services déconcentrés de l’Etat en début et tout au long de l’exercice de leur mandat ou de leur fonction.

Face à la multitude des solutions de prévention et des solutions, le rapport préconise de renforcer et élargir le champ de l’AFCPNT2, voire impulser une initiative de place des assureurs afin de consolider une association nationale menant des opérations de proximité de prévention des risques naturels ou de faciliter via une plateforme de gestion de type « Ma Prime Rénov », gérée par cette association, l’accès des particuliers aux diagnostics de risques intégrés et de résilience, aux aides publiques et aux solutions intégrées de financement (crédit à taux nul, avances de trésorerie) et de gestion des travaux de prévention/remédiation.

Verdissement des offres d’assurance

Enfin, pour participer au verdissement de l’assurance et contribuer à l’atténuation du changement climatique, les auteurs préconisent de systématiser, dans les offres d’assurance dommages, les clauses « vertes » en matière d’indemnisation : en automobile, par l’indemnisation en valeur à neuf augmentée pour remplacer un véhicule thermique par un véhicule électrique (VE) et en favorisant l’utilisation de pièces de réemploi ; en assurance multirisques des particuliers et des entreprises, en favorisant la réparation plutôt que le remplacement des équipements, en augmentant l’indemnisation pour inclure la mise en conformité aux meilleures normes d’efficacité énergétique (isolation, remplacement de chaudières…) et en développant des filières de réemploi des matériaux de construction.

Compte tenu des fréquences de ces sinistres ciblés, l’impact sur une décennie de ces clauses vertes peut être significatif, de l’ordre d’une estimation de 10% pour le remplacement du parc de véhicules thermiques assurés en dommages par des véhicules électriques et de 1% pour le parc de logements et de bâtiments industriels et commerciaux équipés de chauffage thermique.

Pour conclure

Le rapport analyse le faisceau des forces à l’œuvre et porte des préconisations que les auteurs veulent proportionnées à l’enjeu : auto-financées, pragmatiques et équilibrées. Des décisions politiques sont prévues à l’automne. En attendant, le rapport va alimenter le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), qui devrait être présenté prochainement par le ministre de l’Écologie et de la cohésion des territoires.

1 Trois personnalités ont été missionnées : Thierry Langreney, président de l’association environnementale Ateliers du futur et ancien directeur général adjoint de Crédit Agricole Assurances, Gonéri Le Cozannet, expert au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), et Myriam Mérad, directrice de recherche au CNRS.

2 Association Française pour la Prévention des Catastrophes Naturelles et Technologiques.