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Banque/ Assurance, Lettre d'Actualités Techniques

Banque : le reporting des risques et fonds propres passe au niveau 4

Les établissements bancaires se préparent à une nouvelle réforme de leurs exigences en fonds propres issue de « Bâle III : finalisation des réformes de l’après-crise » (BCBS 424). Les régulateurs la désignent souvent sous le vocable Bâle 3 v2 (ou Basel 3.1), mais les banquiers parlent plutôt de Bâle IV, pour marquer l’importance des évolutions.

Bâle IV pour le calcul des exigences de fonds propres

Avec Bâle IV, les calculs des risques financiers, mesurant les pertes maximales que les banques doivent être en mesure de couvrir à tout moment en puisant dans leurs fonds propres, sont ajustés en profondeur.

Le risque de marché (relatif aux pertes sur le portefeuille de négociation) est fondamentalement redéfini, sauf pour les petits établissements non complexes, qui continueront à appliquer les mesures actuelles, si toutefois ils ont un portefeuille de négociation. La réforme FRTB (Fundamental Review of the Trading Book) prévoit des calculs standard avancés (approche ASA) plus sensibles à la volatilité et toujours la possibilité de définir sinon des modèles internes (approche AIMA), basés désormais sur un calcul d’expected shortfall plutôt que de value at risk. 

Pour le risque de crédit (résultant de défauts sur les prêts et obligations du portefeuille hors négociation), la granularité d’analyse de la qualité de crédit des contreparties est renforcée, ce qui se traduit par de nouvelles pondérations en risque. Les pertes potentielles sur les prêts hypothécaires, sur le financement de projets et sur les actions, en particulier le private equity, sont recalibrées. Le nouveau modèle réduit globalement l’effet protecteur des sûretés car leur valeur peut s’effondrer lors d’une crise générale. Le scénario plus favorable fondé sur les difficultés concentrées sur l’emprunteur avec de simples effets de volatilité sur le collatéral est délaissé.

Pour le risque opérationnel (pertes résultant d’événements internes ou externes comme la fraude, les erreurs humaines et informatiques ou les catastrophes), l’exigence en capital est fonction du volume d’activité, décrit par un indicateur de référence, qui prend, avec Bâle IV, non plus simplement en compte la marge nette (comme sur les intérêts ou sur les gains sur instruments financiers), mais aussi le maximum entre les produits et les charges (pour les commissions et les autres activités). Le facteur d’exigence devient progressif : des volumes d’activités plus importants engendrent des risques d’importance accrue.

CRD6/CRR3 en 2025 pour l’Union européenne

Dans l’Union européenne, les principes bâlois sont mis en œuvre au travers d’une directive et d’un règlement sur les exigences en capital (Capital Requirement Directive and Regulation). Le passage à Bâle IV correspond à CRD6/CRR3 (aussi appelé « Paquet Bancaire 2021 », 2021 étant l’année où le texte de transposition a été proposé par la Commission). Il adapte l’accord bâlois pour tenir compte du contexte régional, et introduit donc une série de mesures spécifiques ou transitoires pour une entrée en vigueur progressive.

En décembre dernier, l’EBA a affiché une trajectoire de mise en œuvre du Paquet Bancaire CRD6-CRR3. Elle prévoit un démarrage au 1er janvier 2025 pour les banques de l’Espace Économique Européen (EEE), bien que les États-Unis et le Royaume-Uni aient annoncé un report de Bâle IV au 1er juillet de la même année. Dans le cadre de ce planning, l’EBA a publié plusieurs documents importants depuis décembre, en consultation ou sous forme de projet final pour homologation par la Commission.

14 décembre : états des fonds propres et pour le risque de crédit

Le 14 décembre 2023, l’EBA a proposé des nouveaux tableaux de reporting périodiques pour la mesure des fonds propres et pour le risque de crédit. Il s’agit d’amendements, par ajouts ou modifications de lignes ou colonnes aux modèles existants que sont aujourd’hui les reporting COREP CA et CR transmis par les banques à leur superviseur. Les évolutions traduisent les changements du calcul de risque, en particulier l’introduction de nouvelles pondérations (plus granulaires) et une échelle revisitée des facteurs de conversion en équivalent-crédit (les probabilités que les engagements de financement ou de garantie donnés se réalisent). Il y a aussi de nouveaux indicateurs pour suivre le mécanisme d’output floor, qui impose aux banques utilisant des notations internes un minimum de fonds propres par rapport à l’exigence de l’approche standard prenant en compte les notes externes. Le plancher sera de 50 % en 2025 pour augmenter progressivement jusqu’à 72,5 % d’ici 2030. Une règle transitoire pour l’Union européenne limite néanmoins à 25 % jusqu’à 2029 le surplus annuel exigible au titre de l’output floor. 

Toutes ces modalités sont transcrites dans les états COREP CA CR V4 proposés le 14 décembre. Leur publication est un signal de départ pour les banques, qui doivent se préparer à alimenter les nouveaux tableaux réglementaires, ce qui veut dire disposer de nouvelles données, activer de nouveaux calculs, préparer les procédures et contrôles pour valider les résultats. Certes les propositions de l’EBA sont soumises à consultation, et peuvent donc encore être ajustées (il manque notamment des éléments pour reporter correctement certains calculs transitoires), mais les délais sont courts, aussi il ne faut plus attendre.

11 janvier : reporting des risques de marché

En janvier dernier, le projet final des modèles de reporting COREP MKR V4 pour les risques de marché est paru. De nouveaux tableaux adressent les intermédiaires et résultats de calcul en méthode standard avancée (ASA) tandis que des états spécifiques à l’expected shortfall présentent les mesures en modèles internes AIMA. Un état très proche de celui qui était déjà demandé par anticipation aux banques appliquant les modèles internes (états C90), décrit les mouvements entre portefeuilles bancaire et de négociation.

20 février : reporting du risque opérationnel et liens comptables

Enfin, en février dernier, l’EBA a publié une consultation sur les états COREP OR V4 pour le risque opérationnel. Le projet fait apparaître un calcul de l’indicateur de référence à partir des composantes du produit net bancaire présenté au compte de résultat, quand jusqu’à présent, on se contentait de reprendre la seule valeur de l’indicateur. Ainsi des montants comptables doivent être publiés dans COREP, et l’EBA les met directement en lien avec les données du reporting financier (dit FINREP) par ailleurs transmis par les banques à leur superviseur.

Aujourd’hui, les données comptables sont concentrées dans FINREP seul, avec un nombre limité de points de cohérence pour se rapprocher du COREP (concentrés sur les totaux de bilan et de hors bilan, la valeur du capital social, les montants des défauts et des provisions pour dépréciations associées…), les modèles de données pour COREP et FINREP étant techniquement séparés dans deux taxonomies (dictionnaires techniques). Certes des contrôles externes additionnels (EGDP) sont mis en œuvre par la Banque Centrale Européenne, mais avec des coûts de suivi et de réplication par les autorités nationales plus contraignants qu’une simple intégration aux dictionnaires.

Avec des données comptables recopiées dans COREP V4, il faut s’attendre à plus de vérifications de la cohérence entre celles-ci et les indicateurs de gestion. C’est depuis toujours un défi majeur pour les systèmes d’information bancaires, exigeant une grande maîtrise des schémas comptables transposant les événements sur les produits (prêts, dépôts, dérivés…). Les exigences de pilotage des données prudentielles, dites « BCBS239 », ont conduit les groupes bancaires à bâtir des entrepôts de données pour systématiser les rapprochements et les placer sous assurance-qualité. Avec les évolutions du COREP V4, le niveau de maîtrise attendu ira croissant.

Le niveau 4 n’est sûrement pas le dernier

Dans ses publications l’EBA mentionne un nouveau standard technique de transmission, xBRL-CSV, dans une démarche appelée DPM 2.0. Depuis 2005, les reporting COREP et FINREP font appel à la technologie XBRL. Celle-ci est néanmoins très verbeuse, engendrant des fichiers de taille exponentielle quand le nombre d’indicateurs croît. La variante technologique xBRL-CSV lève cette difficulté, en conservant les principes de modélisation taxonomique de XBRL (avec un dictionnaire d’indicateurs décrit en langage informatique pour permettre une compréhension directe par les machines) mais en réduisant drastiquement la codification des rapports. Ainsi, un nombre bien plus important de données peut être transmis de façon compacte, avec des temps de transfert et de validation maîtrisés. Pour les superviseurs, cela ouvre la possibilité d’une collecte contrat par contrat, différente du système actuel d’agrégats prudentiels et comptables.

Pour conclure

Les états COREP V4 publiés apparaissent comme une étape intermédiaire. Tout en déployant les adaptations indispensables pour s’y préparer, les équipes de reporting réglementaire des établissements bancaires doivent envisager la perspective d’un reporting intégré contrat par contrat.