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Audit légal et contractuel, Lettre d'Actualités Techniques

Le commissaire aux comptes et les estimations comptables

Dans un contexte macro-économique difficile et incertain, les estimations des entreprises établies pour l’élaboration de leurs comptes revêtent une grande importance. Aussi, la dernière note d’information publiée par la CNCC1, apporte un éclairage utile sur leurs risques inhérents et les diligences à accomplir pour apprécier la pertinence de ces estimations.

Qu’est-ce qu’une estimation comptable ?

Selon la NEP 540 (§ 05), une estimation comptable correspond à un montant dont l’évaluation selon les règles et principes prescrits par le référentiel comptable applicable comporte une incertitude. Il peut s’agir :

  • d’un montant retenu par la direction pour être enregistré dans les comptes ou mentionné dans l’annexe, ou
  • d’un montant utilisé par la direction pour prendre une décision quant à la comptabilisation ou à la mention d’informations dans l’annexe.

Au-delà de cette définition émanant d’une norme d’audit, il faut aussi retenir la définition donnée dans le référentiel comptable applicable.  En ce qui concerne le référentiel comptable français, le PCG considère que « les estimations comptables sont le résultat de l’exercice du jugement et de la mise en œuvre d’hypothèses dans l’application d’une méthode comptable » (art. 122-4). En infra-réglementaire, il est précisé que « sont qualifiées d’estimations comptables toutes les modalités d’application d’une méthode comptable dès lors que ces modalités ne résultent pas d’un choix de méthodes comptables explicite et permettent d’évaluer au mieux la transaction ».

Quant au référentiel IFRS, IAS 8 indique que « les estimations comptables sont des montants des états financiers qui comportent une incertitude d’évaluation ». C’est pourquoi, « l’établissement d’estimations comptables nécessite le recours à des jugements ou à des hypothèses fondées sur les dernières informations fiables disponibles ».

Selon la nature des estimations comptables, le commissaire aux comptes devra adapter ces diligences de manière proportionnée en fonction de la complexité de ces estimations.

Exemples

  • Détermination de la durée d’utilisation d’une immobilisation pour le plan d’amortissement ;
  • Provision pour garantie donnée au client ;
  • Dépréciation du fonds commercial.

Risques liés aux estimations comptables

En raison de leur nature, ces estimations comportent un risque inhérent, en l’occurrence le risque qu’une anomalie significative se produise dans les comptes, sans tenir compte du contrôle interne de l’entité.  Parmi les facteurs de risque, nous citerons bien sûr l’incertitude de l’évaluation en raison notamment de la disponibilité des informations et de la connaissance qui sous-tendent ces estimations. En outre, cet état de fait entraîne une certaine subjectivité puisque l’entité peut choisir, en l’absence de prescription du référentiel comptable applicable, les hypothèses et les données à utiliser, ainsi qu’une fourchette de dénouements possibles.  La NEP 540 évoque même la possibilité que des « biais » soient introduits par la direction, mettant à mal la neutralité du jugement pour élaborer ces estimations. Enfin, le degré de complexité lié aux données, aux hypothèses ainsi qu’aux méthodes et modèles a nécessairement une incidence sur la fiabilité des estimations.

En fonction des éléments recueillis lors de la prise de connaissance de l’entité, de son environnement et de son contrôle interne et par rapport à ces facteurs de risque d’anomalies significatives, le commissaire aux comptes va adapter ses diligences.

Diligences liées à l’application des estimations comptables

Exemples de procédures susceptibles d’être mises en œuvre 

  • Obtention d’éléments à partir d’événements post-clôture (dénouement de l’estimation, événement post-clôture qui confirme ou infirme des éléments retenus pour l’estimation) ;
  • Appréciation du processus d’établissement de l’estimation comptable mis en œuvre par la direction (méthode utilisée, hypothèses importantes retenues, données utilisées) ;
  • Faire soi-même une estimation ou une fourchette d’estimations (challenger l’estimation de la direction). Cette procédure est généralement utilisée lorsque le risque est élevé, notamment en raison de la faiblesse dans le processus de l’entité, de différences d’appréciation identifiées lors du dénouement ou encore la prise en compte insuffisante de l’incertitude qui entoure l’estimation.

En tout état de cause, et quelle que soit son approche pour apprécier le montant comptabilisé dans les comptes, le commissaire aux comptes vérifiera la nature et l’exhaustivité des informations fournies dans l’annexe au regard du référentiel comptable applicable, ainsi que la cohérence et l’exactitude des informations avec les éléments qui lui ont été fournis.

Remarque 

En présence de fourchettes d’estimations d’amplitude importante (pouvant représenter plusieurs fois le seuil de signification qu’utilise le commissaire aux comptes pour déterminer le caractère significatif des anomalies relevées), ce dernier devra être particulièrement vigilant. Ce cas peut se retrouver pour des estimations avec des incertitudes importantes (ex. provision pour démantèlement de site industriel) nécessitant, le cas échéant, le recours à un expert.

Évaluation du caractère suffisant et approprié des éléments collectés

Pour asseoir ces estimations, l’entité s’appuie sur des données issues de différentes sources. Dans ce cadre, le commissaire aux comptes exerce son esprit critique pour apprécier la fiabilité et la pertinence des éléments collectés. Il s’attachera à connaître leur origine (externe/interne) et sa forme (original/copie) et à savoir si les éléments collectés lui permettent d’apprécier la méthode, les hypothèses et les données utilisées pour l’estimation comptable. Quant au caractère suffisant, il se mesure par rapport à la quantité, mais aussi à la qualité des éléments collectés.

Enfin, le commissaire aux comptes doit aussi s’intéresser aux éléments qui contredisent le respect des assertions à vérifier (ex. une provision sur clients douteux qui baisse alors que la balance âgée montre une augmentation des créances clients à plus de 120 jours) afin d’obtenir une vision plus juste de la pertinence des éléments collectés.

Pour conclure

L’appréciation des risques pesant sur les estimations comptables est un point crucial d’audit qui fait souvent l’objet d’une justification des appréciations dans le rapport du commissaire aux comptes et d’un point clé d’audit adressé au comité spécialisé d’une EIP. Aussi, cette nouvelle note d’information apporte un éclairage utile pour la compréhension des enjeux liés aux estimations comptables.

CNCC, NI XXII « Le commissaire aux comptes et l’audit des estimations comptables », septembre 2023.